Les Chroniques de Garandhay, d’Audrey Aragnou

Auteur : Audrey Aragnou
Genre : Fantasy                              Public : adulte et jeune adulte

Deux mondes sont sur le point de s’affronter : l’Empire de Garandhay et la Terre.  Un ordre, les Cruciens, dirige Garandhay de façon incompréhensible aux yeux des peuples qu’il devrait protéger. Quand le Maître, ancien Empereur emprisonné, cherche à reconquérir le pouvoir, la guerre devient inévitable.

Se dresseront devant lui : un chat qui traverse les réfrigérateurs pour boire le lait de ses hôtes) ; Fabrice, écrivain qui a décidé le terminer le récit de son enfance ; des seigneurs protecteurs, prêts à se sacrifier pour l’Empire. Le Fou est quant à lui en quête d’une tour devant lui donner le pouvoir nécessaire pour s’opposer au Maître.

Bienvenue dans l’Empire, où des géographes promènent des chrysanthèmes pour les planter à la juste place, où des hommes-aigles se battent pour trouver leur liberté et où dans la cité des vampires danse une humaine dont le désir le plus cher est de se rendre sur la lune.

Après avoir été professeur de lettres, puis d’histoire de l’art en lycée, Audrey Aragnou enseigne à présent les arts appliqués dans les Hauts-de -France. Elle est l’auteure de nombreuses nouvelles dans le genre de l’absurde poétique et de la science-fiction. Des nouvelles que félins, pingouins et animaux fantasques ou inquiétants traversent comme autant de motifs, faisant réfléchir sur l’humanité à travers les thématiques de l’engagement, de la liberté, de la connaissance de soi et de la poésie de l’existence.

Plus d’informations sur l’Instagram de l’auteur.

Deux univers s’affrontent. D’un côté, la Terre, sombre. De l’autre, l’Empire de Garandhay et ses soleils jumeaux.

Fabrice, écrivain, devient malgré lui l’un des personnages du roman qu’il a initié pendant son adolescence. Attiré par le Maître des Glaces, qui a besoin de lui pour dominer l’Empire, préférera-t-il seconder le Fou, seigneur sans royaume, en quête d’une tour qui devrait lui donner de grands pouvoirs ?

Houspillé par un pingouin destructeur et amoral, conseillé par un chat fantasque et malicieux, il est l’heure pour Fabrice de passer d’un univers à l’autre. Car chacun doit prendre position dans cette guerre.

Il sera également question de chrysanthèmes qu’on doit protéger, d’engagements qu’il faut tenir et de la météo des plages.

Pour partir à l’aventure en compagnie de Fabrice, préparez votre sac à dos et choisissez bien votre pyjama, car ce que l’on porte la nuit est notre premier acte de résistance quand les ténèbres se répandent sur le monde.

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Extrait

Ils se rendirent dans un restaurant japonais que Jessica aimait bien ; ils s’installèrent devant le tapis à sushis.

— Je rencontre des gens étranges en ce moment, remarqua le jeune homme.

Il attrapa une assiette qui défilait près de lui. Jessica demeurait interdite comme à son habitude face aux plats qui passaient. Ses yeux regardaient le vide. C’était le signal pour Fabrice. Jessica avait des crises d’angoisse devant le poisson cru.

— Je veux tout. Je suis stressée par trop de choix, déclara-t-elle.

— Je vais effectuer la sélection pour toi.

— Comme d’habitude.

Il était arrivé que Jessica fixe de longues minutes le mécanisme roulant qui défilait sans rien prendre et se jette ensuite sur la

nourriture. Une fois, en effet, après avoir contemplé une heure le tapis qui passait, elle avait englouti un nombre infini de sushis et avait été malade toute la nuit.

— Plus jamais de poisson cru, avait-elle juré.

Mais ils y étaient retournés deux jours plus tard, et ils avaient trouvé la solution à son syndrome : Fabrice, de temps en temps,

l’aidait dans la sélection. Tout allait mieux depuis, l’équilibre du monde avait été rétabli.

— Je prends des sashimis pour le Chat, dit Fabrice. Ça lui plaira.

— Il est reparti ?

— Comme tous les chats.

— Alors, comme tous les chats, il reviendra.

Elle commença à picorer dans son plat, elle se servit également dans les aliments de Fabrice ; il poussa son assiette un peu vers elle.

— En fait, je n’ai pas de problème avec les félins en ce moment, déclara-t-il d’un air pensif. Surtout quand ils préfèrent mon assiette creuse bleue. Ce sont les pingouins qui me dérangent.

— Ils sont plusieurs ?

— Non. Il n’y en a qu’un. Mais celui-ci ne respecte pas mon espace vital. Il me menace. Il surgit de façon brutale quand je ne m’y attends

pas.

— Le Chat aussi apparaît ou disparaît quand il en a envie.

— Mais il monte sur le canapé pour se faire caresser. Il fait ce que j’aime chez un tel animal. Le Pingouin ne fait rien de ce qu’il devrait faire. Il écrit à la moutarde, il veut faire mes bagages, il me suit dans la rue. Il ne devrait pas venir dans mon appartement.

— Chez toi, finalement, cela devient un peu un zoo, conclut Jessica en se servant de nouveau dans l’assiette de son frère.

Elle semblait détachée en prononçant ces mots, mais elle scrutait son frère en quête d’indices sur son état intérieur.

— J’ai toujours eu des problèmes avec ces endroits, répondit-il. Je déteste qu’on enferme des animaux. Je n’aime cloîtrer personne. Au contraire, j’ai l’impression que chez moi l’espace est de plus en plus ouvert. Le Chat traverse les placards pour faire des commentaires sur ma vaisselle, le Pingouin fait des dessins sur ma tapisserie…

— Et toi, tu passes.

— Oui, reprit Fabrice en observant ses doigts au travers desquels il apercevait les aliments.

Cette main transparente pour l’instant ne lui posait pas trop de difficultés. C’était même très pratique puisqu’on pouvait deviner les sushis au travers.

— Que regardes-tu ? demanda Jessica.

— Ma paume. Elle devient translucide par moments.

— C’est très pratique pour voir les sushis au travers, remarqua Jessica en faisant semblant de sourire.

— C’est exactement ce que je pensais.

Elle le scruta, un peu soucieuse. Son frère lui paraissait plus pâle qu’à l’ordinaire, si cela était possible, comme s’il se dissolvait. Elle devait s’avouer cependant qu’elle le croyait, puisqu’elle-même avait été témoin d’étranges visions.

Il est soluble, se dit-elle. Comme le sucre que l’on met dans la préparation pour un gâteau.

— Je perçois vraiment des choses étranges en ce moment, continua le jeune homme. Des espaces se sont ouverts. C’est comme une brèche en moi qui aspirerait tout.

— Le froid me dérange. Tu ne le maîtrises pas. Ce que tu ne contrôles pas, cela m’inquiète toujours.

— Je n’ai jamais dominé grand-chose, souligna Fabrice. Même mes factures, c’est toi qui penses à les payer quand j’ai les rappels parce que j’oublie.

Jessica se souvint du chéquier qu’elle avait commandé dans le but unique de s’occuper de lui. Elle gérait également les comptes de son frère par virements automatiques dès qu’elle partait en mission.

Pourtant c’est moi qui suis souvent loin d’ici… Enfin… géographiquement, du moins…, se dit-elle.

— Tu n’as plus de sushis, observa-t-elle en finissant le dernier de l’assiette de son frère. Tu n’en veux pas d’autres 

par hasard  ?

— Si. Je me demandais pourquoi je ne voyais plus rien au travers de mes doigts transparents.

Fabrice se servit de nouveau.

— Je te suis, commenta Jessica. J’ai déjà terminé.

Elle imita l’écrivain.

— Je m’en vais bientôt, annonça-t-il.

Elle marqua un temps d’arrêt.

— Je n’ai pas envie que tu partes seul.

Il prit la main de sa soeur.

— Tu voyages sans moi dans les pays les plus risqués de la planète.

— Non, Fabrice. Ces dangers-là sont humains. Nous pouvons les mesurer. Là-bas… qui viendra t’aider ? Je ne sais pas comment on passe ! Depuis l’Empire, un Pingouin écrit des menaces à la

moutarde. Ils n’ont pas de limite de l’autre côté. Ils ne sont peut-être même pas mortels !

Ils méditèrent en silence sur les lieux sans limite ni mesure.

— Retournons à la maison, dit Fabrice à Jessica qui se servait pour la troisième fois. Sinon, tu vas être malade.

Il prit des sashimis pour le Chat et ils rentrèrent. Jessica le laissa devant son immeuble et il remonta chez lui.

Dans le miroir, le Pingouin dansait la salsa sans partenaire.

— Toi, je t’ai assez vu pour aujourd’hui, déclara Fabrice en recouvrant la glace avec un drap.

Voilà. Fin des reflets et des images contrariantes pour ce soir. Il improviserait bien le lendemain. Il se coucha sur le canapé.