Feuillets de cuivre, Fabien Clavel, avis d’Andréa Deslacs

Un avis d’Andréa Deslacs. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

CouvertureDans le cadre des articles et interviews d’Etherval, ActuSF m’avait proposé de lire les Feuillets de cuivre de Fabien Clavel, publié en octobre 2015.

Je ne connais ni l’œuvre ni l’auteur, la présentation de l’ouvrage avait de la gueule avec sa très belle couverture épaisse et son titre cuivré en relief.

Le premier chapitre permet tout de suite de voir que l’auteur a du caractère au niveau du style. Les Feuillets se déroulent en France, à Paris, de 1872 à 1912. Nous sommes au sortir de la débâcle de la bataille de Sedan.

Il existe plusieurs tendances pour les romans XIXe : celle où l’auteur va choisir un parlé plutôt ancien et s’inspirer d’un vocabulaire d’époque, celle où l’auteur va prendre une formulation moderne pour son écriture et ses dialogues, et celle où l’auteur va garder un style avec un cachet ancien, mais sans le vocabulaire et en veillant à ne pas faire trop d’anachronismes de langage. La fin XIXe n’est pas si loin de nous, c’est l’époque de Zola, Balzac, Maupassant et compagnie. Des auteurs que nous avons lu à l’école et qui nous sont beaucoup plus familiers dans leur façon de s’exprimer qu’un Rabelais dans le texte original… Ici, nous sommes dans un XIXe siècle, un vrai, et il faudra un petit temps d’adaptation, mais il est également très agréable de renouer avec quelques expressions (ou injures) désuètes. Après tout, ce sont nos racines.

Et l’histoire, me diriez-vous, l’histoire ! Mais de quoi ça parle ? Les Feuillets de Cuivre sont des enquêtes policières. Elles se découpent par épisodes, et l’on pourrait dire que nous avons deux grandes saisons dans l’ouvrage.

Nous suivons le policier Ragon depuis ses premières armes, puis tout le long de son avancement. Les descriptions sont rares dans Les Feuillets, mais le surpoids progressif de Ragon est un élément qui marque les esprits et qui a son rôle dans l’histoire. Il est lourd, de poids, de sagesse, du poids de tous les livres qu’il a lus, mais jamais dans son discours ni dans son humour. Quoiqu’on plaisante rarement dans les Feuillets, car la situation est grave…

En comparaison d’un Hercule Poirot ou d’un Sherlock Homes, Ragon est tout aussi brillant et génial, mais il a une timidité, une nostalgie, voire une retenue qui le rend bien plus sympathique.

Ragon « a tout lu », s’en vante, et déclare que les seules enquêtes qui l’intéressent sont celles qu’il pourra résoudre depuis un fauteuil grâce aux écrits qui entourent les victimes. Toute la première partie du recueil décrit ces enquêtes-là et on ne peut qu’admirer les connaissances étendues du policer (et de l’auteur derrière lui) concernant la littérature du XIXe. Respect. On se sent petit, on a l’impression d’avoir oublié beaucoup de la littérature « classique » et ça donne envie de s’y remettre. La seconde partie conte l’affrontement de Radon contre un ennemi qui l’a pris pour cible et le met au défi par enquêtes (et donc victimes et écrits) interposées. Et là, on s’aperçoit, un peu comme dans la « Ligue des Ténèbres » de Catherine Loiseau, qu’aucun épisode précédent n’était gratuit, que chaque chapitre était un petit engrenage dans une machinerie bien plus grande. Cette intelligence de construction mérite les louanges. Respect, une seconde fois.

Pendant longtemps, on se demande si l’œuvre est vraiment de la SFFF. Certes, on nous parle d’éther, on évoque des machines étranges un peu steampunk, le spiritisme frappe souvent à la porte, mais on aurait pu voir là-dedans une simple atmosphère XIXe. Le fantastique se dévoile surtout dans la seconde partie pour venir y prendre toute sa place. Là encore, c’est réalisé de façon admirable.

Le ton est de façon générale rude, la société XIXe est décrite de façon crue. Sincèrement, le premier épisode (prostitution, crimes à la Whitechapel, magie noire) a failli me faire fermer l’ouvrage, entre son ambiance glauque et quelques détails qui m’ont chagrinée (mais ceux qui me connaissent savent comme je peux être médicalement exigeante). Quelle erreur aurais-je alors faite ! Si certaines enquêtes ont des atmosphères pesantes, si certains détails sont prompts à susciter un certain malaise, l’œuvre se dévore ! J’ai fait nuit blanche à enchaîner les chapitres et voilà longtemps que cela ne m’était pas arrivé.

Il se dit dans une certaine interview à paraître que l’auteur aurait parmi ses projets quelques épisodes supplémentaires… J’ai hâte !

— Andréa.