Gastronomie du futur, d’ici, d’ailleurs et d’autre part, ARKUIRIS (Anthologie), avis de Stéphane Lesaffre

Un avis de Stéphane Lesaffre. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

C’est un scandale. En 2020, l’année où l’on n’a quasiment pas eu l’occasion d’aller au restaurant, Arkuiris nous propose un ouvrage sur la gastronomie, plein de saveurs exquises, de critiques gastronomiques et de recettes inédites. De quoi nous faire regretter encore davantage les bonnes auberges où l’on avait nos habitudes et désespérer d’y retourner. Quelle faute de goût !

D’accord, cette entrée en matière n’avait guère d’intérêt. Mais par ce côté léger et moqueur, je voulais poser le ton général du livre. En effet, la manière de traiter le thème était ici avant tout de nous divertir. Souvent, les anthologies Arkuiris traitent de sujets graves et très actuels, nous amènent à réfléchir sur des problématiques de société. Ici… bien sûr, certains textes aborderont des sujets tels que la pénurie alimentaire ou l’extinction animale, mais dans l’ensemble, on est avant tout là pour passer un bon moment et apprécier les textes en fin gourmet. A ce sujet, l’avant-propos de Pierre Gévart, toute de truculence et de bons mots, pose le ton, de même que la très efficace couverture de Caza.

1. Protoplasme, de Philippe Caza. Caza troque le crayon pour la plume et ouvre le banquet. Il traite ici d’un sujet qui aurait pu être grave : nourrir l’humanité minée par la surpopulation et la faim. Seulement, il a choisi l’angle de la comédie, avec les tribulations déjantées d’un aventurier de l’espace et de ses compagnons hauts en couleur. Le texte est bourré d’humour, volontiers absurde, mais j’ai trouvé qu’il restait très digeste, sans basculer dans le grand n’importe quoi. Une belle surprise.


2. Le Dernier souper, de Jean Paris. Atmosphère beaucoup plus studieuse et compassée pour cette nouvelle qui nous conte la volonté d’un gastronome de goûter des saveurs passées et futures. Le texte est ingénieux et bien trouvé, j’ai cependant trouvé dommage qu’il mette beaucoup de temps à se mettre en place.


3. Les Galettes de Nihonzaru, de Céline Lafon. Cette nouvelle nous parle de gastronomie dans un futur où les animaux supérieurs sont les égaux des humains. J’ai apprécié le Paris futuriste original, l’histoire m’a proposé un mélange équilibré entre fantaisie, anticipation et action. On ne s’ennuie pas, c’est réussi.


4. Le Dilemme de Bokil, d’Hélène Cruciani. Un chef cuisinier de la race extra-terrestre Slum’Corienne doit satisfaire à la fois son empereur et la jeune maîtresse de celui-ci, à l’estomac si délicat. Une histoire d’extra-terrestres gourmets et gourmands, extrêmement inventive d’un bout à l’autre. C’est excellent.


5. Cuistots de Combats, de Thierry Soulard. L’anthologie fait ici une première incursion dans la fantasy. L’auteur pastiche les émissions de concours de cuisine à la mode avec des candidats orc, gnome, elfe et ainsi de suite. Ici, tuer ses adversaires – et même le jury – est aussi important que de servir un plat digne de ce nom. C’est léger, objectivement j’ai trouvé ça un peu facile, alors pour que ce soit réussi il fallait que ce soit vraiment drôle : mission accomplie.


6. Balnave de Skrofül sur Gratin de Blaves et Fleurs de Blaviottes, de Philippe Pinel. Pour cette recette au nom à rallonge, le texte se focalise sur la mercenaire en charge de ramener de la planète Zoltaar les ingrédients nécessaires. Une nouvelle en trompe l’œil, bien trouvée, mais j’ai trouvé dommage qu’elle ne vaille réellement que pour son final, en dehors de ça, elle n’est guère palpitante.


7. La recette du désir, de Merline Touko Tchoko. Un conte africain moderne où une guérisseuse, d’origine étrangère au village, bouc-émissaire de défiance ordinaire, accusée de sorcellerie, est sommée de trouver la recette du désir charnel. J’ai aimé l’ambiance très prenante, l’histoire m’a porté de bout en bout.


8. Vers les trois supernovæ au guide Michelin, d’Anthony Boulanger. Le texte traite de la manière de se procurer les mets les plus insolites. On a un chasseur expert, une proie d’exception pour un repas d’exception. Sur une idée de base somme toute simple, l’auteur réussit à planter un univers fouillé, une histoire convaincante et très agréable.


9. Le Critique, d’Antoine Vanhel. L’auteur déploie toutes les avancées technologiques d’un restaurant du futur, et toutes les contre-mesures d’un critique pour obtenir le vrai goût au-delà des artifices. C’est une bonne anticipation très technique, très ingénieuse, on se laisse porter.


10. L’Atlantide, de David Piffeteau. On rencontre ici également des critiques, dans un nouveau restaurant à Nantes, mais au lieu de mettre l’accent sur la technologie, l’auteur approfondit et caricature certaines dérives modernes, en mettant la gastronomie à l’heure de l’éthique, de la santé et de la note carbone. L’intention est bonne, dommage que le déroulement soit prévisible.


11. Plaisir régressif, de Dola Rosselet. Une nouvelle fantastique figurant un salon de thé, des pâtisseries faites maison, le bon goût de l’enfance, l’accueil chaleureux digne de cette grand-mère que nous n’avons pas oublié, tout ce qu’il faut pour faire oublier les soucis du personnage… et du lecteur. L’auteur a réussi à me communiquer sa douce atmosphère en même temps qu’au personnage, j’ai vécu le texte avec lui. Une nouvelle fantastique, disais-je, vraiment fantastique.


12. Alchimie et petits biscuits, de Naël Legrand. On lorgne ici du côté de la légère fantasy, tendance Pratchett, dans un texte qui met en scène une vieille dame et un tenancier de restaurant qui se liguent contre la tyrannie de la guilde des restaurateurs, de leurs contrôles et de leurs taxes. C’est la nouvelle la plus longue du recueil mais on ne s’ennuie pas, c’est très réussi, les personnages sont attachants et la narration est truculente. Un grand bravo.


13. Jusqu’au trognon, de Marc Séfaris. Il est ici question, par l’alliance entre un restaurateur torturé par ses souvenirs d’enfance et un biologiste déchu, de faire déguster des choses entièrement nouvelles – je n’en dirai pas plus pour ne pas divulgâcher. Je ne peux que reconnaître la qualité formelle de l’ensemble même si je n’ai pas aimé la nouvelle, dont je goûte peu le registre malsain.


14. Mangez-vous les uns les autres, d’Amanda R. Morency. La nouvelle met en scène les rites mortuaires et culinaires d’une congrégation religieuse. Malgré un vrai sens de la satire, j’ai trouvé que la nouvelle était prévisible et peinait à proposer, au-delà de sa bonne idée de cadre, une vraie histoire.


15. Et leurs destins se lieront, de Camille Ayang. Le texte nous présente un invocateur prisonnier qui prépare les repas rituels pour son mariage forcé avec la princesse. Une nouvelle avec une bonne dose d’exotisme, un univers prenant et bien développé. Au milieu de tout cela, l’histoire qui se déroule est un peu expédiée, à mon goût, j’aurais sans doute voulu en lire davantage – c’est en général bon signe sur la qualité de l’ensemble.


16. La Cuisine de Jean Gisquant, de Pierre Gévart, l’anthologiste. Ce texte est resté une énigme pour moi jusqu’à son point final. Il raconte les tribulations du Voyageur et de ses compagnons, qui rendent visite à Jean Gisquant et y ripaillent tant de bons mots que de mets délicats. C’est d’une écriture très fleurie, remarquable, mais l’histoire laisse l’impression étrange de ne rien comprendre. La fin révèle que c’est en réalité, non pas une nouvelle, mais le septième chapitre d’une roman. Rien d’étonnant, donc, que je me sois senti largué, mais cette précision aurait mérité d’être apportée au début du texte. Cela m’aurait évité l’effort d’essayer de comprendre et m’aurais laissé apprécier les très bons mots plus sereinement.


17. Une étude polémique et personnelle du rituel Kal’ du Kahiev, de Qamille. La forme de ce texte est celle d’une étude sociologique dont le sujet est imaginaire, à grand renfort de références bibliographiques, de croisement des avis et d’opinions personnelles. Une bonne dose de polémique intra- et extradiégétique, puisque l’autrice use de pronoms non genrés inventés pour l’occasion et critique l’alimentation carnée. Dans tout ça, ce qu’il a sans doute manqué, c’est une nouvelle.


18. Le Restaurant des faims dernières, de Jean-Louis Trudel. L’anthologie se clôt sur une nouvelle dans une ambiance de fin du monde, qui traite de l’anéantissement des espèces et du manque d’empathie des masses à ce sujet. Le personnage du restaurateur, qui endosse un rôle de méchant pour tenter de faire réagir les autres, est très réussi, complexe et convaincant.

En conclusion, je dirais qu’il y a de tout dans cette anthologie. Des textes que j’ai aimés et d’autres moins. Des textes comiques, des textes épiques, des textes légers, des textes graves. De la SF, de la fantasy et du fantastique – avec bien davantage de SF que du reste, mais quand même plus de place laissée aux autres courants que dans les autres anthologies Arkuiris que j’ai lues. Chacun, en tout cas, y trouvera son compte. Pour ma part, aimant picorer dans tous les genres, je garde une mention spéciale pour les textes d’Hélène Cruciani (SF), Dola Rosselet (Fantastique) et Naël Legrand (Fantasy).

— Stéphane Lesaffre.

Gastronomie du futur, d’ici, d’ailleurs et d’autre part, anthologie réunie par Pierre Gévart, éditions Arkuiris, ISBN 978-2-919090-26-6, illustration couverture : Caza.