La Patrouille du temps, Poul Anderson, avis de Stéphane Lesaffre

Un avis de lecture de Stéphane Lesaffre. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

CouvertureParce qu’on ne lit jamais assez de classiques, une amie bien intentionnée m’a offert un jour les deux premiers volumes (sur quatre) de « La Patrouille du temps » de Poul Anderson, série qui remonte, pour les premiers textes, à 1955.

Ce sont des recueils de nouvelles, un format qui me convient (qui l’eût cru ?). On peut picorer, goûter, revenir plus tard. On sait, quand on a confiance en l’auteur, que si parfois un texte enchante moins, le suivant, lui, sera à la hauteur. Alors je l’ouvre. Je sais d’emblée que celle qui m’a offert ça me connaît bien : tous les ingrédients sont là pour que j’apprécie. La patrouille du temps est une force de police chargée d’empêcher que des voyageurs du temps mal intentionnés ne viennent influer sur le cours de l’Histoire. Les récits de cette série sont donc de la SF dans des cadres historiques divers. Tout ce que j’aime.

Je lis la première nouvelle. C’est bien écrit, ça pose l’univers et ses règles, et je me rends vite compte que l’auteur ne sombre pas dans la facilité : la période temporelle visitée, la Bretagne saxonne lors de la chute de l’empire romain, n’est pas précisément un lieu commun. Il y a le traitement des personnages aussi. Si le héros Manse Everard est assez lisse, les autres personnages principaux sont décrits dans leurs doutes, leurs espoirs et leurs dilemmes, qui comptent autant que l’aventure elle-même. Ce sera, je le découvrirai, une constante dans ses textes.
Toutes les nouvelles, loin de là, ne parlent pas de méchants qui veulent changer l’Histoire à leur profit et qu’on empêche avec brio, ce n’est pas le seul point de focalisation de la série. Parfois, il s’agit simplement de l’histoire de personnages, membres de la patrouille, égarés à une époque ou confrontés à des difficultés avec une civilisation passée, l’histoire de leurs rencontres, de leurs déboires, de leurs doutes et de leurs erreurs.
Je pars sur la deuxième nouvelle, « Le grand roi », et on est en plein dedans : pas de voyageur mal intentionné ici, mais la recherche d’un ami disparu en -558 pendant une mission d’étude de la civilisation perse. Manse le retrouvera seize ans plus tard, alors qu’il a largement fait sa vie dans cette époque reculée. L’aventure et l’exotisme sont assurés par la découverte de la civilisation et la recherche d’un moyen d’extraire, sans risque sur la trame du temps, le voyageur égaré. Mais la dimension humaine, tout aussi importante, nous vient avec cet homme qui a ainsi refait sa vie, vécu une autre vie, pendant si longtemps. Comment pourra-t-il revenir chez lui, une semaine après son départ, comme si de rien n’était ?
À la fin du texte, je suis enchanté, je sais que je tiens un petit bijou entre les mains, et j’espère que la suite ne démentira pas cette impression. Après deux autres textes agréables mais moins notables, je découvre « Un autre univers ». Comme son nom l’indique, dans cette nouvelle, les patrouilleurs débarquent dans un univers parallèle, parce que l’Histoire a changé. L’auteur se livre ici au difficile exercice de l’uchronie en prenant un point de divergence ancien. Chaque différence est pesée au regard du présupposé et on suit l’enquête de Manse pour trouver ce qui a changé, comment, pourquoi, et quelles en furent les conséquences. Et le tout en proposant une aventure rythmée, sans jamais tomber dans l’ennui. Entre la découverte de ce nouveau monde et de ses intrigues, il y a aussi la rencontre avec de sympathiques habitants. Sachant que, pour les patrouilleurs, réussir à rentrer chez eux en rétablissant l’Histoire signifie aussi condamner à mort cette réalité et tous ces gens.
Honnêtement, j’ai adoré ce texte et je l’ai admiré. Parce que j’ai parfois eu l’idée d’écrire quelque chose de similaire, et qu’à chaque fois je me suis arrêté à la conclusion que « ce sera chiant, trop professoral ». Avec un écrivain de cette trempe, c’est tout le contraire.

À ce moment, je recontacte mon amie pour lui dire tout le bien que je pense de ce son cadeau. Elle me rétorque « Quoi, tu n’as pas encore lu le deuxième livre ? ». Oui, parce que dans le deuxième, après un premier texte de bonne facture, il y a la superbe novella « Le chagrin d’Odin le Goth », inspirée de l’épopée des Nibelungen. Un texte plus tardif (1983), un texte différent. Les légendes sont légions sur ces dieux qui se mêlèrent aux hommes, aussi, pour étudier les Ostrogoths d’avant les grandes invasions, l’historien Carl Farness a-t-il choisi d’endosser l’identité d’un dieu vagabond qui leur rend visite de temps à autres. Seulement, au fil du temps, à force de se lier intimement à eux, ils sont tous un peu devenus ses enfants. Alors, les voir souffrir, périr lors de guerres ou de conflits de pouvoir, c’est difficile. Même si l’on sait que cela fait partie de l’Histoire.
Un texte différent, disais-je, très émouvant. Il bénéficie d’une double narration : les scènes chez les Ostrogoths semblent une sombre épopée d’époque, les scènes dans le « présent », où le voyageur retrouve son épouse, sont contées à la première personne par Carl qui s’est trop investi émotionnellement dans sa mission.

Au final. Ce que je reprocherais à ces deux livres, c’est qu’à la suite de cette novella, l’éditeur a casé le dernier (1995) court texte de la série qui est passablement insignifiant comparé au précédent.
Mais c’est ça, l’intérêt des nouvelles : quand on relit, ce que je fais de temps en temps, on peut en laisser une de côté sans états d’âmes si besoin. Et le reste est vraiment excellent, un régal du genre.

— Stéphane.

Tome 1 : La Patrouille du temps, de Poul Anderson, aux éditions Livre de poche, ISBN 9782253118770

Tome 2 : Le Patrouilleur du temps, de Poul Anderson, aux éditions Livre de poche, ISBN 9782253096740