Un avis d’Andréa Deslacs. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».
Le tome 1 Feast of souls nous plonge dans un univers de fantasy qui affronte des périodes difficiles d’existence pour ses populations.
L’héroïne, Kamala, a été vendue, enfant, par sa mère aux réseaux de prostitution pour quelques pièces. Kamala a pourtant un don en elle, un pouvoir de guérison, comme les sorcières. Les sorciers sont des humains qui peuvent en échange de leurs énergies vitales modifier objet ou améliorer la santé d’autrui. Cependant, ce prix est lourd, voire mortel.
Mais ce n’est pas cette puissance-là que Kamala ambitionne. Si elle échappe à sa vie dans les rues et part trouver un maître, c’est qu’elle veut devenir Magister. La première femme de ce clan très fermé, dont les membres sont rares, d’autant que peu d’apprentis survivent à l’initiation. De toute façon, une femme ne peut pas être Magister, les femmes sont trop douces et trop faibles pour aller jusqu’au bout de la compromission qu’il faut atteindre pour parvenir à l’immortalité !
Car, les Magisters disposent de pouvoirs sans borne ! Il n’y a qu’à voir Colvirar, l’un des plus vieux d’entre eux, modifier la couleur afin d’atteindre pour ses habits un noir absolu, ou créer fleurs, dorures, tempêtes sur son passage selon ses humeurs ! Les Magisters semblent puiser dans une énergie infinie, ont la réputation de ne plus jamais vieillir, et ont eux-mêmes fixé leurs limites afin de ne pas détruire le monde par des guerres intestines. Des lois qu’ils ont édifiées à l’initiative du très laconique Ramisus depuis des siècles. Comme celle de ne jamais trahir le seigneur ou le noble qui les lie par contrat.
Ou…
Celle de ne jamais causer la mort d’un autre Magister.
Kamala, en quête de reconnaissance de son statut, ne se retrouvera-t-elle pas dans les ennuis jusqu’au cou dès ses premiers jours toute seule ? Où trouvera-t-elle de l’aide ? Auprès de ce jeune prince qui se meurt d’un mal étrange, empli de faiblesse et de langueur, lui si vaillant et puissant quelques lunes plus tôt ?
Soyons impartiaux, commençons par les petits « moins » de ce récit :
Dans un aparté, Friedmann se disait enthousiasmée par son idée d’avoir pris pour la première fois une héroïne confrontée à la prostitution. Soyons clair, nous sommes ici dans un détail futile de l’histoire qui ne change rien au reste de la trame et ne ressort pas vraiment dans le tempérament de l’héroïne ni dans ses actes.
Parmi les autres défauts de la série, il y a un manque criant de repères temporaux. Impossible d’évaluer l’écoulement du temps. Ainsi on se surprend à se demander depuis quand telle personnage est enceinte et pourquoi personne ne s’en aperçoit dans les récits. Est-ce que cela voit physiquement ou pas ? S’écoule-t-il des semaines ou des mois dans le récit.? On pourrait considérer cela comme chipotage, mais cela a tout de même perturbé ma lecture.
J’ai eu un peu de mal à me plonger dans le tome 3, mais il faut dire que je l’avais attendu trois ans pour le découvrir. J’ai été perdue par le prologue qui est un retour dans le passé aux repères nébuleux. Cependant, dès le chapitre 1, je n’ai plus décollé de ma lecture !
Autre petit bémol dans ce tome 3 : on peut lire dans les dernières pages une répétition un peu lourde (peut-être un choix éditorial pour ne perdre aucun lecteur américain distrait à la fin de l’histoire ?) de l’une des règles de base de cet univers (règles plusieurs fois répétées à travers les trois tomes).
Voilà bien là tout ce qu’on peut reprocher à cette série !
Parmi les points positifs indiscutables : un univers immersif et très bien conçu.
J’aime beaucoup chez Friedmann cette capacité à avoir des femmes de premier rang. Ici, si Kamara est assez sympathique (d’autant qu’elle se met facilement dans la mouise, et tente comme elle peut de s’en sortir), mais elle n’irradie pas d’un charisme impressionnant, surtout si on la compare aux autres Magisters ou aux princes.
Cependant, Friedmann nous offre deux très beaux personnages féminins avec la Reine et la plus grande des Sorcières des villes libres. Des femmes fortes, intelligentes, qui savent garder leur sensibilité et leur féminité, et surtout : faire des choix.
Le concept de la magie, la mythologie qui en résulte, les événements du passé sont d’excellents passages.
Si l’on regrettera une opposition vaguement incarnée par un leader peu charismatique, on appréciera les rois des glaces : ces fameux dévoreurs que jamais on ne nomme dragons et qui pourtant implantent ce texte dans les grands récits reptiliens avec, là aussi, un concept innovant.
La série Magister ne serait rien sans ses guerres, ses secrets, ses trahisons, son passé oublié, ses tensions politiques, ses manipulations, son désespoir, ses sacrifices, l’héroïsme de ses hommes et femmes.
C’est un roman d’aventure, où la bête qui vous dévore n’est pas forcément celle qui étend ses ailes dans le ciel, mais plutôt celle qui s’est éveillée au fond de votre être, au plus profond de vous, là dans les ténèbres et la colère.
Saurez-vous maîtriser cette faim dévorante qui vous attend si vous commencez cette trilogie ?
— Andréa.