Le meurtre du Commandeur, Haruki Murakami, avis d’Audrey Aragnou

Un avis de lecture d’Audrey Aragnou. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

Une grotte, un homme dont le nom signifie « épargné par la couleur » , une clochette qui sonne la nuit sans que quiconque la fasse résonner, un homme sans visage qui exige qu’on exécute son portrait : l’univers de Murakami, dans Le meurtre du Commandeur est planté et nous embarque.

Abandonné par sa femme, le héros et narrateur, peintre et portraitiste, commence une errance étrange dans sa voiture, où peut-être ira-t-il « jusqu’à la lune », pour reprendre ses propres termes. Il finit par contacter un de ses amis qui lui prête la maison isolée de son père, en pleine montagne. Le père en question est peintre également, spécialiste d’une technique japonaise et en fin de vie, se trouve en maison de soins.
Le narrateur découvre par hasard dans le grenier un tableau dont la violence et la beauté lui coupent le souffle. Cette représentation du meurtre du Commandeur se réfère à l’opéra de Mozart.
Obsédé par cette œuvre, tellement à l’antithèse du travail du père de son ami, il commence à se renseigner sur la vie de cet homme énigmatique, Tomohiko Amada, parti en Europe pendant la Seocnde Guerre Mondiale, traumatisé et muet sur ce qu’il a vécu à son retour.

Dès ce moment, la réalité glisse. D’abord, le jeune homme exécute le portrait de son voisin aussi richissime que mystérieux, ce qui précipite une série d’événéments incontrôlables. Des fantômes surgissent à heures fixes au beau milieu de la nuit, un personnage s’échappe du tableau et prend vie. Il est question de coquillages et de bernard-l’ermite, d’idées qui s’incarnent et qu’on doit assassiner pour passer d’un monde à un autre, afin de sauver une petite fille disparue.

Murakami déploie son écriture avec les leitmotiv qui lui sont chers : le puits et la plongée en soi-même, le glissement entre les mondes, l’abandon, la solitude et la lutte contre ses propres ombres, le tout dans un roman initiatique et poétique, où l’étrange accompagne le lecteur.

A la hauteur de sa trilogie 1Q84, Murakami nous transporte très loin. Progressivement happés, nous tournons les pages pendant que dans notre esprit pleuvent encore les maquereaux de Kafka sur le rivage.

— Audrey.