Les Larmes du dragon, Ghaan Ima, avis d’Iphégore Ossenoire

Les larmes du dragon

Un avis de lecture d’Iphégore Ossenoire. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis »

Chacun sait ce qu’il attend d’un bon livre. Il lui suffit de prendre un ouvrage en main, de laisser ses yeux le parcourir, son esprit, vagabonder, pour rapidement déclarer que tel ou tel roman est bon. De temps à autre, l’humilité nous rattrape et l’on se corrige, le déclarant à notre goût.Je me souviens de l’un de mes professeurs d’arts plastiques qui citait soi-disant un grand peintre et nous rabâchait que voir, ça s’apprend. J’avais surtout vu qu’il adorait le chocolat, et c’est sans doute ce qui permettait à mes notes de ne pas sombrer trop bas sous la moyenne. Bref, si voir s’apprend, lire aussi. C’est pourquoi je m’amuse à dénicher des œuvres que j’estime expérimentales. Il peut s’agir d’essais comme de brèves ou longues histoires. Elles peuvent surgir au détour d’un forum d’écriture ou dans les rayonnages d’œuvres numériques autoéditées. En revanche, on ne les trouve pas chez les éditeurs dignes de ce nom, car leur travail consiste à parfaire des ouvrages, non à tenter des procédés souvent bancals.

C’est à l’occasion de l’une de ces flâneries que j’ai trébuché sur les Larmes du dragon, de Ghaan Ima. L’auteure s’inspire des mangas (japonais), et je voulais voir dans quelle mesure elle avait tenté ou réussi à transposer ces univers particuliers à la littérature. M’étant moi-même frotté au sujet dans un bref essai qui croisait Hunter x Hunter et Fairy Tail, je me doutais de la difficulté de pareille tâche.

Il s’agit d’un récit classé kodomo, jeunesse. Je n’ai jamais pris la peine de comprendre les classifications. Il y a pour moi les livres pour les petits et ceux pour les grands, peu importe à quel âge on les lit. L’histoire est celle d’un chat qui se prend pour un dragon et qui profite de la lune pour voyager à travers les mondes que lie Yggdrasil. Dans notre monde, le chat est insignifiant ; dans un autre, il est si grand qu’on l’appelle le Grand Dragon. Les « petits hommes », donc, espèrent que le Grand Dragon amènera un grand guerrier et une grande prêtresse pour vaincre, à l’aide d’une arme redoutable, les monstres qui rongent le ciel. Lorsque la lune sera noire, ces derniers déferleront.

Mais à part se repaître comme un prince, le chat ne compte rien faire. Un téméraire et talentueux jeune homme (comme dans tout bon shōnen) s’accroche au grand dragon qui s’en retourne dans notre monde. Devenu grand lui aussi, il suit le chat jusqu’à la fenêtre d’une demoiselle dont le premier réflexe sera de lui taper dessus (ici encore, une rencontre typique du genre). Après quelques péripéties, les trois personnages retournent dans le monde voué à la destruction, où ils vont bondir de doutes en frustrations, jouer d’incompréhensions jusqu’à livrer bataille, sombrer dans le désespoir, en ressurgir, agir selon une morale implacable et presque s’en sortir, pas tout à fait indemnes, et pas tous ; le sacrifice étant une thématique régulière de ces mangas. N’oublions pas qu’ils participent de l’éducation du peuple nippon.

Ce n’est jamais tant la trame du manga ou ses thématiques qui importent, mais la qualité du dessin, la profondeur des personnages et les rebondissements. La problématique est alors de dépeindre un univers en usant de mots, juste de mots (il n’y a pas de dessins dans ce roman), avec leur pouvoir évocateur. Heureusement, ce court récit (une grosse centaine de pages) m’a entraîné. En règle générale, quand je dévore quarante pages d’une traite, c’est que l’histoire me plaît. On se demande comment les deux personnages vont se rencontrer, qui trahira qui, si ce foutu chat va se bouger ou agir en vrai chat impitoyable, si le héros va sombrer et sa belle y rester… bref, il y a du nerf.

Du côté expérimentation, il faut libérer son esprit pour s’autoriser les réminiscences de quelques dessins de Miyasaki ou sourire à l’incursion de légendes de chez nous (ce qui se fait plus souvent qu’on le croirait dans les mangas). Il faudra néanmoins un bagage conséquent dans le domaine pour se laisser distraire par les allusions et savourer ce qui pourrait sembler à d’autres yeux une situation d’une banalité affligeante. C’est donc réservé aux amateurs du genre, ce qui tombe bien, car telle est l’intention de l’auteure.

Alors, évidemment, les plus perspicaces auront noté que j’ai éludé les questions de forme, ce qui n’est jamais bon signe. J’ai beaucoup aimé les interventions de l’auteur sur les quelques lignes qui séparent certains chapitres, lesquelles ne sont pas sans rappeler les dessins qui encadrent la coupure publicitaire des animés. Quant au style, il manque assurément d’adresse, mais laisse apercevoir un talent certain. Les messages, quant à eux, mériteraient d’être pesés au regard d’une volonté pédagogique pour conférer une vertu éducative plus poussée. Si j’ai pu grommeler aux maladresses, je n’ai pas eu à hurler à la faute, chose qui doit être soulignée, me murmure-t-on, quand on parle d’autoédition. Il est sûr que l’œuvre a été dignement corrigée.

En somme, si vous baignez dans les mangas, que vous cherchez une œuvre simple à lire et qui vous évoquent des souvenirs, vous pouvez investir trois euros dans les Larmes du dragon. Et si comme moi, vous honnissez les formats privateurs de libertés imposés par Amazon, l’auteure vous proposera l’ePub si vous la contactez (par exemple via Twitter, ça fonctionne). Quant aux plus sceptiques, il est possible de se le procurer gratuitement, charge à vous, si vous aimez, de l’acheter ensuite et de laisser un commentaire, car aucun auteur ne vit d’air pur et d’eau fraîche (et les mangas, ça coûte un bras 😉 ).

Les Larmes du dragon, de Ghaan Ima
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