Un avis d’Andréa Deslacs. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».
Sancia, voleuse et ancienne esclave, est sur un gros coup : s’infiltrer grâce à son lien avec les objets dans la salle des coffres du guet maritime, pour rapporter un petit coffret à son commanditaire en échange d’une récompense colossale ! Promis, ce n’est pas un gabarit d’une nouvelle enluminure, trésor chèrement gardé par les maisons marchandes. Alors, franchement, comment une vieille babiole pourrait-elle être la clef de la pluie d’ennuis et de catastrophes ? Le contrat paraît donc juteux pour cette acrobate qui ne manque pas de détermination.
Le cadre semble assez original, avec un côté urbain et tropical, il y a une végétation envahissante, des insectes, de l’alcool de canne. Les noms des familles marchantes au pouvoir sonnent en revanche de façon italienne. Comme l’ont dit plusieurs commentateurs, c’est un peu dommage que l’héroïne sur la couverture n’est pas la peau sombre comme chacun dans cette ville. Au-delà de ces aspects, soyons francs : l’apparence des personnages, voire le milieu naturel sauvage, n’a strictement aucun impact sur le scénario ou sur la culture locale et les mœurs du récit. C’est bien aussi, c’est égalitaire, il y a des génies et des imbéciles, des honnêtes et des corrompus dans toutes les sociétés.
Le style est franchement particulier et je tire mon chapeau au traducteur. D’habitude, j’ai absolument en horreur la familiarité et la vulgarité. Ici, les dialogues sont l’occasion de tant d’éclats de rire, qu’ils sont vraiment jouissifs. J’aurais dû apprécier le très poli Gregor, chef du guet, mais mon coup de cœur va à Orso, qui jure comme un marin, alors qu’il est à la tête des enlumineurs de l’une des quatre plus grandes maisons marchandes et qu’on l’imagine d’âge mûr. Les dialogues sont spontanés, pleins d’humour, parfois d’autodérision, ils sont justes, ils pétaradent en tout sens. Ils sont une grande force du récit.
Le système de magie qui soutient l’univers est réussi. Les objets sont enluminés avec des espèces de runes, qui contiennent des verbes, dépendent de procédés et d’incitations. La société a ainsi accès à des technologies révolutionnaires, le tout breveté bien sûr. Et les objets sont… complétement névrosés. Ils sont toujours enthousiastes de recevoir des ordres, tout en restant pour la plupart complétement stupides. Il existe deux types de langage, celui des choses, mais aussi celui des Dieux, un savoir perdu avec la disparition brutale du premier peuple civilisateur à avoir fait des miracles.
L’intrigue est bien ficelée, l’univers amené progressivement, comme il convient. On voit venir certains cliffhangers, mais d’autres sont vraiment bien trouvés. On est dans un récit d’action, d’aventure, une quête au nom de l’amitié, de la liberté, de la justice et de la science. Car, sous ce récit par moment burlesque se cache de nombreuses questions éthiques et très sérieuses sur : la liberté, la confiance, l’amitié, le sacrifice, la science et surtout son utilisation, les brevets, les inégalités sociales, l’homme-objet, le mépris ou la responsabilité des puissants, le progrès scientifique, les IA, la quête de l’immortalité. Voilà, pour réfléchir à notre monde et à son devenir, rien ne vaut la SFFF.
Quant à la performance de lecture de ce livre audio, j’avais peur, car je ne suis pas habituée à des voix de narratrices. Eh bien, Camille Lamache incarne très bien les personnages masculins, a un très bon jeu d’actrice, donne du dynamisme à la narration et aux dialogues. On oubliera quelques mots erronés ou une voix qui n’est pas celle du bon personnage, mais je suivrai avec plaisir cette narratrice.
Au total, j’avais lu sans trop m’en souvenir des critiques en demi-teinte sur cette œuvre (sur le style et le cadre), mais comme j’ai acheté le titre sur un coup de tête, je me suis affranchie de ces avis. Je ne le regrette pas. Vivement le tome 2.
— Andrea.