Les Migrations du futur, ARKUIRIS (Anthologie), avis de Stéphane Lesaffre

Un avis de Stéphane Lesaffre. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

Couverture
Une anthologie Arkuiris, c’est en général un bel objet, avec des textes de qualité et qui donnent à réfléchir. Cet ouvrage qui m’est arrivé entre les mains, en dépit de réserves que j’expliquerai dans ce billet, ne fait pas exception à la règle.

Pour entrer dans un ouvrage, il convient de procéder par étapes. D’abord, l’objet lui-même, on le prend en main, on en prend connaissance, puis la couverture. Si celle-ci, malgré l’illustre illustrateur qui l’a signée, ne me ravit pas graphiquement à titre personnel, elle résonne en harmonie avec le titre. « Les migrations du futur » assorties de l’image d’un peuple migrateur sur ce qui est sans doute une autre planète désertique, mené par un cornac juché sur un immense oiseau. Dépaysement et exotisme sur fond de science-fiction.

Et autant le dire dès à présent, il s’agira de ma principale déception concernant ce livre : cet aspect du sujet ne sera presque pas traité.

Après l’aspect extérieur, ouvrons l’anthologie. Un œil sur le sommaire, quelques noms qui me parlent, d’autres pas. De toute façon, je ne suis pas du genre à apprécier davantage un texte parce qu’il a été écrit par une sommité. Ni d’ailleurs à en parler davantage dans ces lignes. Petit pincement au cœur à ce stade : pas de texte de Patrice Quélard. Il est pourtant assez fréquent, dans ce genre d’ouvrage, que l’anthologiste participe, et j’ai déjà lu et apprécié cet auteur. Tant pis.

De la plume de Patrice Quélard, on a tout de même l’avant-propos, et celui-ci, couplé avec la bio du monsieur, pose le décor : Patrice Quélard est un militant pour l’accueil des réfugiés et demandeurs d’asile, le sujet des migrations résonne donc particulièrement chez lui. J’ai déjà mentionné que les anthologies Arkuiris donnent à réfléchir. Le sujet n’est jamais neutre et il s’agit souvent, avec le moyen de la science-fiction, avec le prétexte de l’imaginaire, de traiter de sujets très actuels, tristement actuels. La sélection de textes sera la conséquence naturelle de ce tropisme : les textes proposés au lecteur parleront, pour la majorité, de réfugiés (j’en compte dix sur seize). Comme je le disais plus haut, ce qui m’a manqué, ce sont des textes de dépaysement figurant des peuples migrateurs, pourtant promis par la couverture. Mais les textes sont bons, pardonnons ce manque et rentrons dans les détails.

Je ne traiterai pas dans l’ordre mais par thématique.
Plusieurs textes partent du postulat assez classique suivant : la planète se meurt (changements climatiques, guerres, pollution, totalitarismes, etc.) et des personnages luttent pour la fuir et partir vers une Terre promise. Soit qu’on se focalise sur ce départ, soit sur l’arrivée, soit les deux, on rencontre sur ce thème :
La mutation c’est la vie, de Jacob Galissard, ouvre l’anthologie pour nous parler de réfugiés sur une planète similaire à celle qu’ils ont fui, et accueillis avec une certaine bienveillance par les aliens évolués qui y habitent. La problématique de l’accueil des réfugiés (problématique sociale, économique, éthique…) est intelligemment traitée, le texte est fin et plaisant.
Dans Olympus Mons, d’Emmanuel Delporte, la terre promise est Mars, mais les infortunés doivent passer une terrible épreuve pour obtenir le droit de s’y établir : l’ascension du plus haut sommet de la planète. J’ai trouvé ce texte bien écrit mais un peu longuet, et surtout, ce principe d’épreuve m’a laissé une certaine impression de déjà vu.
Oublier les étoiles, de Xavier-Marc Fleury, propose un cadre un peu plus inattendu : après une montée des eaux, la terre promise est une cité sous-marine tandis que les terres émergées sont aux mains d’une secte anti-science. Ce texte propose des personnages bien campés, une narration efficace, c’est une réussite.
Elle vivra, de Laurent Salipante, est le plus réaliste et le plus « militant » des textes. Par coïncidence, c’est aussi à mon goût un des meilleurs. Il se passe dans un camp de réfugiés dans un cadre de manque généralisé d’eau potable. On y trouve, en plus des réfugiés eux-mêmes, des volontaires d’une ONG, des militaires chargés de démanteler le camp et des convoyeurs d’eau à la moralité douteuse. Les sentiments et les attitudes sont toutes en clair-obscur, les personnages sont subtils et profonds. J’ai vraiment beaucoup aimé.
Point de non-retour, d’Alain Rozenbaum, nous parle d’une migration, par dématérialisation, vers un système informatique, où l’on retrouve les mêmes préjugés que dans le monde réel vis à vis des nouveaux arrivants. Une bonne dose de sarcasme et de cynisme dans ce texte. La vision en décalé des haines ordinaires que nous rencontrons est bien trouvée. Le texte verse parfois dans la caricature, mais de manière assumée, avec second degré, et c’est plutôt bien fait.
Dans Sfumataï, de Johanna Marines, l’eden inaccessible est une île artificielle, et le texte se concentre sur les difficultés pour quitter une cité en ruine en prise à l’humanité en déliquescence et atteindre le port. Un texte très sombre et morose, hélas sans grande surprise dans son déroulement.
Les Damnés de la Terre, de Frank Dole, nous parle là aussi de migration spatiale vers une Colonie. Il s’agit d’une simple galerie de portraits, un chassé-croisé de passeurs cyniques et de candidats au grand départ, leurs difficultés, leurs espoirs et leurs aspirations. Ai-je dit « simple » ? Oui, c’est vrai, et pourtant c’est parfois dans cette simplicité, sans surenchère, avec beaucoup d’humanité, qu’on trouve un beau texte.
Plus ambitieux, Romain Tribalat, dans Les futeurs, nous parle de migrations vers le passé et une Terre encore vivable. Deux personnages sont du voyage pour fuir leurs conditions de vie, mais entre ceux qui préfèrent rester incognito et ceux qui se révèlent, la problématique pour les gouvernements du passé devient de détecter ces réfugiés du futur. Évidemment, dans cette nouvelle, on nage en plein paradoxe puisque le passé est modifié par le futur, mais le texte s’en sort bien, propose une intrigue complexe et prenante. Une belle trouvaille.

Deux textes se rapprochant de cette thématique des réfugiés sont un peu à part tout de même :
Le mur, de Jean-Yves Carlen, nous parle de la volonté d’un grand dirigeant européen de créer un mur au milieu de la Méditerranée pour empêcher les flux de migrants, et des conséquences générales de ce mur. On est dans la géopolitique davantage que dans l’aventure humaine proposée par les autres textes, avec un mode de narration très distancié, presque journalistique. Si le propos est bien tourné et la caricature bien troussée, cette narration ne m’a pas convaincu.
En clôture de l’anthologie, Les portes de fer, de Jean-Pierre Andrevon, est d’une ambiance très différente, à la limite de la fantasy. Les portes de fer s’ouvrent sur le noir de l’espace et une cohorte incessante de réfugiés, aliens de toutes races, la franchissent, sous le regard des autochtones impassibles. C’est une réédition d’un texte des années 70, et il éveille en effet en nous une certaine nostalgie d’une SF d’une autre époque, haute en couleurs et surréaliste.

Deux textes nous parlent, à l’inverse, de colonisation. Les thèmes de fin d’un monde et de nécessité d’en partir sont secondaires et le départ vers ailleurs est organisé.
Où les étoiles l’attendaient déjà, d’Adeline Tosello, parle de la préparation pour une colonisation spatiale à venir, de l’entraînement et du processus de sélection des candidats colons, sous l’œil implacable des redoutés psychologues. Un texte très malin avec deux personnages bien campés et des dialogues très savoureux.
Vers l’infini de Marco Skoff est plus classique, montrant une colonisation spatiale organisée par un état totalitaire, et suivant une candidate mise en exergue par le régime. L’originalité réside dans le fait que le monde n’est pas mourant, la colonisation est glorieuse et non nécessaire. Le texte est cynique, mais hélas sans grande surprise.

Se rapprochant un peu de cette thématique pour le côté organisé du voyage, Arnauld Pontier nous parle, dans Eden et caetera, du départ d’une partie des terriens vers une autre planète, dans le cadre d’une offre d’emploi d’une race extra-terrestre. Migration économique donc, et choisie par la terre d’accueil. Une nouvelle originale et au déroulement particulièrement imprévisible.

Je vais maintenant vous présenter Les chronotaphes, de Wilfried Renaut. Maintenant, parce que je n’ai pas su où le mettre, il est inclassable. Dans ce texte, les humains devenus immortels car capables de changer de corps doivent choisir une manière de finir leur vie, pour éviter la surpopulation. On suit un personnage qui choisit ainsi de « migrer » vers un trou noir. Un texte en forme de réflexion métaphysique, beau, poétique mais un peu hermétique.

J’ai gardé pour la fin les deux textes qui parlent un tant soit peu de nomadisme, parce que comme je le disais, c’était la promesse de la couverture et j’ai été un peu frustré à ce sujet.
Tout d’abord Fille de l’espace d’Audrey Pleynet. Dans ce texte, l’Humanité a colonisé de nombreuses planètes, aux conditions de vie fort différentes. Pour éviter les injustices, chacun migre de planète en planète, par tirage au sort, tous les six mois. Dans ces conditions, il est difficile de s’attacher. Alors quand on est adolescente et qu’on rencontre un beau jeune homme lors d’un transit, le déchirement est inévitable. Cette histoire d’amour impossible est touchante, l’univers présenté est bien pensé et original, on s’attache au personnage principal, on espère avec elle. J’ai vraiment aimé.
Je termine avec Moken de Léa Fizzala. Sur Terre dans le futur, un peuple de nomades des mers vit en marge des nations au gré des courants, mais ceux-ci sont devenus fous, dénaturés et manipulés par des machines mises au service du plus offrant. Ta-ao va alors demander à la mer la prochaine destination de son peuple. Dans ce texte se mêlent aventure, poésie et critique de la folie des hommes… Oui, le texte amène à réfléchir, comme il est d’usage chez Arkuiris, mais il nous propose aussi un voyage dont on se souviendra, avec des personnages attachants et, au-delà des mots, des images magnifiques. Mon coup de cœur de cette anthologie.

J’ai été un peu long dans cette critique, mais je ne pouvais pas ne pas consacrer à chaque texte la place qu’il méritait, les auteurs, eux, ayant usé de leur temps pour susciter notre plaisir de lire, qui plus est dans la démarche associative et bénévole d’Arkuiris.
En conclusion, je dirais que Patrice Quélard, malgré une sélection un peu monomaniaque, nous a proposé des textes de qualité et de très belles trouvailles. Peut-être qu’au final, cette impression de décalage entre le contenu et mes présupposés venait juste de la couverture et qu’une autre m’aurait permis de mieux voir dans quoi je mettais les pieds. Difficile exercice de trouver une illustration qui attire l’œil tout en étant suffisamment représentative du contenu. Cela dit, il est notable que mes deux textes préférés aient été celui qui correspondait le plus à mes propres attentes, Moken, et celui qui correspondait – je pense – le plus à l’anthologiste, Elle vivra.

— Stéphane Lesaffre.

Les Migrations du futur, anthologie réunie par Patrice Quélard, éditions Arkuiris, ISBN 978-2-919090-22-8, illustration couverture : Wojtek Siudmak.