L’océan au bout du chemin, Neil Gaiman, avis d’Audrey Aragnou

Un avis de lecture d’Audrey Aragnou. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

Tout commence par un retour : le narrateur, qui revient près de la maison où il a passé son enfance. Sans savoir pourquoi, il prend un chemin de terre qui le mène à une ferme où l’accueille la vieille Mme Hempstock. Il demande alors des nouvelles de Lettie, la petite fille qu’il a connue enfant, partie en Australie, et éprouve le besoin de réfléchir au bord de la mare.
C’est là que l’année de ses sept ans remonte à la surface.
Ses parents, qui n’avaient plus les moyens de payer la maison décident de louer sa chambre à un prospecteur d’opales, qui commence par écraser le chaton de l’enfant. Il rencontre à ce moment sa petite voisine, Lettie, de la famille des Hempstock. Trois femmes, qui vivent sans hommes, et qui se souviennent du « moment où la lune a été fabriquée ». Lointain écho des Parques antiques, elles ont la faculté, lorsqu’elles découpent un morceau de tissu dans une robe de chambre et qu’elles la raccommodent, d’enlever un morceau du temps et de modifier le cours des événements.
Le suicide du prospecteur d’opales déclenche une série d’événements étranges : Lettie et le petit garçon basculent dans un autre monde, car la ferme des Hempstock est à la lisière de plusieurs univers, et l’enfant est attaqué par d’étranges créatures qui ouvrent une une porte entre les dimensions. S’y faufilent différents monstres : d’abord Ursula Monkton, aux traits faussement humains, qui entre dans la famille en se faisant passer pour une gouvernante, puis d’étranges oiseaux voraces, surnommés les « nettoyeurs » et qui dévorent le monde.

Le roman incarne la définition même du fantastique : la lisière entre le réel et l’imaginaire.

C’est une histoire sur l’enfance et sa capacité à s’émerveiller, à tout transformer. La mare est-elle un océan qui permet de passer d’un monde à l’autre ? Pourquoi Lettie a-t-elle « onze ans depuis très longtemps » ?

C’est un récit sur l’âge adulte, où malheureusement, ceux-ci ne tiennent pas le beau rôle. Ursula Monkton, créature inquiétante, donne de l’argent parce que selon elle, c’est ce qui rend les gens heureux. La cellule familiale se désolidarise parce que les parents sont obsédés par leur niveau de vie, et si la « gouvernante » prend autant d’importance maléfique, c’est parce que les parents ne s’occupent plus de leurs enfants.

C’est une histoire sur la mémoire et le temps qui passe : comme dit Mémé Hempstock, jamais deux personnes ne se souviennent la même façon du même événement.

C’est avant tout un roman poétique, où les choses les plus absurdes sous le regard des enfants deviennent magiques, et où ce roman, s’il chante l’âge de l’innocence, fait un triste constat sur ce qu’il advient aux enfants lorsqu’ils grandissent.

Ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est sa poésie et sa langue. Même si on a ici une traduction, de nombreuses expressions sont tout simplement magnifiques. J’ai adoré imaginer le temps « où on a fabriqué la lune ».

Un très beau livre, riche de sens.

— Audrey.