Un avis d’Andréa Deslacs. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».
Le thème de la musique m’a toujours été cher, je donne souvent une belle place dans mes histoires à des peintres ou à des musiciens. J’écris en plus mes textes avec en arrière fond des compositions instrumentales. C’est donc avec plaisir que j’ai plongé dans la découverte de cette anthologie publiée aux éditions Arkuiris, à la superbe couverture.
* Le premier texte « Une voix pour l’éternité » de Stéphane Dovert nous présente un mélomane, possesseur de milliers de disques. L’homme vient d’acheter une autobiographie de Berlioz. Dans ses mémoires, le compositeur confie la fascination et la passion que lui procurait la voix d’une cantatrice de l’époque.
Nous sommes ici dans un récit très travaillé, long, avec sans doute une documentation d’importance et un réel intérêt de l’auteur pour l’opéra. Références et vocabulaire spécialisé viennent servir une connaissance étendue. Pour le lecteur novice dans ce domaine, le texte risque d’être trop dense. Le fantastique arrive tardivement, et devient alors presque prévisible tant on a attendu et conjecturé à son sujet.
* « Requiem » d’Arnauld Pontier est une nouvelle en 3 pages, de fantastique, basée sur la sensualité et les musiques divines de la vie et de la mort.
Selon la sensibilité de chacun, ce texte parlera aux uns mais pas forcément aux autres.
* Dans « Une aria pour Sedona » de Yann Quero, on suit un journaliste très attaché à la logique et aux preuves scientifiques qui doit enquêter dans une petite ville isolée où l’on aurait vu de fortes lumières et entendu d’étranges sons. Du simple parasitage pour certains auditeurs, un hymne incroyable pour d’autres. En tout cas, tout le monde converge vers le lieu : militaires, journalistes, simples curieux, fanatiques religieux, amateurs de musique, personnes convaincues que les extraterrestres veulent prendre contact avec nous. Qu’en sera-t-il ?
On retrouve ici les thèmes préférés de Yann Quero : les USA, les extraterrestres, la science et l’impossible de l’autre. Le texte, très bien écrit, a une véritable ambiance, les personnages sonnent vrai, le scénario est prenant. La lecture offre un moment agréable.
* « Déchirures écarlates » de Karine Rennberg nous offre un fantastique discret et un cadre oriental plutôt bien trouvé. Frappé de surdité après l’explosion de pétards à proximité, un très prometteur musicien sombre dans la dépression. Lors d’une déambulation dans une galerie de tableaux, soudain l’incroyable survient : la musique l’entoure de nouveau. D’où vient ce miracle ?
Ce récit, très simple dans son scénario, est empreint d’émotions, d’amour, de tendresse, de désespoir et de fatalité. L’écriture, douce et belle, m’a véritablement émue.
* « Parlez-vous le Beethoven ? » de Julie Conseil nous projette dans un futur proche, où un vaisseau alien survole nos forêts, et détruit les plus grandes villes du monde, attiré par deux morceaux de Beethoven, présents dans la sonde Voyager Golden Records envoyée dans l’espace. Une professeure de violon, un autiste virtuose, un botaniste spécialisé en génodique et un perroquet géant arriveront-ils à communiquer avec les aliens avant que les militaires ne commettent une sanglante bévue ?
On retrouve ici l’imagination foisonnante de Julie Conseil, et surtout son humour qui donne toujours beaucoup de peps à ses récits. Le texte est riche en rebondissements, en grands éclats de rire et en aventures folles. Un très bon moment de lecture.
* Dans « Poupées de sons » de Johanna Marines, les femmes sont enlevées et revendues comme de simples matériaux pour fabriquer des instruments de musique perfectionnés, mais conscients.
Le thème est troublant, dérangeant, mais l’homme n’en est pas à un crime près envers les autres hommes, alors envers une femme… Ainsi, dans cette société de luthistes, peu importe à la plupart les sentiments d’une femme instrument. On reste un peu flou sur les transformations subies, la partie sentimentale du récit est prévisible. Je regrette toutefois qu’elle vienne brouiller le premier message du texte par sa note positive. Le thème toutefois a le mérite de nous rappeler que l’humain a souvent tenté d’utiliser les autres pour ses propres motivations, sans respect pour autrui.
* Trouverez-vous la signification des initiales de « M.A.H. » de Keo T ? Les musiciens chevronnés ou diffusés simplement sur les réseaux sociaux auraient pu se poser la question quand ils ont reçu l’invitation à participer à un concours de la part d’une très grande société spécialisée dans l’informatique et l’intelligence artificielle.
Grâce à la focale agréable d’une jeune violoncelliste, qui ne croit pas à sa chance d’avoir été sélectionnée alors qu’elle a une diffusion plutôt confidentielle, on découvre ce monde technologique avec facilité, ainsi que le monde de la musique. On retrouve ici des thèmes chers à l’auteur Keo T, à travers un texte réussi, intéressant, positif, ouvrant nos esprits et notre curiosité.
* « Ils tapent sur des cailloux » nous dit Jean-Marc Sire, sans rajouter que ces extraterrestres gobelins moches, puants, idiots font une cacophonie à fendre l’âme, à deux pas de la ferme d’un couple de colons humains. Pour éviter un divorce et de finir sourd, monsieur doit trouver une solution pour que ce vacarme cesse. Y arrivera-t-il ?
Beaucoup d’humour dans ce texte, servi par un style moderne et fluide. J’ai beaucoup aimé ce récit plein de fraîcheur, de peps et de piquant. Un très bon moment de lecture.
* Dans « Wayabayaha(s) » de Sylvain Lamur, une vieille rockstar est interviewée sur le passé de son groupe, devenu célèbre depuis que leur musique a attiré des créatures proches de papillons lumineux que si peu sont arrivés à faire apparaître. Le musicien dévoilera-t-il tous ses secrets à la caméra ?
Ce texte évoque de nombreux souvenirs de ce musicien, qui finalement est très proche de nous dans sa mentalité et sa vie de tous les jours avant que les circonstances rendent sa vie incroyable. Beaucoup de nostalgie dans ce texte, la découverte d’un nouveau monde, du mystère, ce texte est un voyage sur fond musical.
* « L’incident Alligator » de Nicolas Sick nous invite dans un monde parallèle, où pour l’anniversaire de l’Empereur, les concerts sont grandioses. Les instruments bouleversent les âmes, en jouant des harmonies où les notes sont tirées des étoiles. Et qu’adviendrait-il si on allait chercher une note au-delà des astres connus ?
J’ai beaucoup aimé cet univers, ces personnages passionnés, les rivalités, la technologie de ce monde, bref, l’imagination qui sous-tend ce texte. Un excellent récit.
* « Le Chant des Achéloïdes » de Jacob Galissard met en scène une équipe humaine chargée de récupérer de l’eau sur une planète océane que tout le monde a cru dénuée de vie, d’autant que la Terre est avide de cette eau. Sauf que des sirènes fantomatiques y vivent. Accepteront-elles le pillage de leur monde ?
Ce texte commence par le récit du capitaine du vaisseau, mais garde un aspect très actif. Le texte n’est pas dans le domaine de l’épouvante ni du thriller, mais on sent rapidement le danger de cette entreprise. Les effets sont bien trouvés et la fin réussie.
* « Le Corps d’Eva » de Geneviève Le Bras décrit un monde où une divinité vorace demande des sacrifices humains, surtout ceux dont le cœur chante la liberté, dans une société où chacun se surveille et vit dans la terreur.
L’autrice est professeure de lettres, passionnée d’auteurs de science-fiction. Elle propose un texte complexe, assez mystérieux, un brin ésotérique. Je dois avouer que ce récit ne m’a pas correspondu dans son style et dans sa construction.
* « Mélodie en sourdine » de Hélène Marchetto est une nouvelle hyper courte. Elle est basée sur une ambiance, sur la douceur d’une musique dont le lecteur cherche la source. Là encore, je pense que je ne suis pas le public cible de ce texte.
* « Le Souffle des plaines » est signé Amélie Bousquet. À la mort du mâle de la tribu, il est nécessaire pour les femmes du village d’envoyer l’une d’entre elles au bosquet sacré pour enfanter un enfant mâle, les seuls qui peuvent ressentir l’harmonie de la nature et jouer d’un instrument de musique unique, capable de repousser les prédateurs ennemis.
Ce texte très original a pour focale une jeune femme d’une espèce inconnue. Le récit explore les us et les coutumes, les croyances, les sociétés différentes des nôtres, la notion du beau. Cette histoire nous invite à ouvrir nos horizons.
* « La Fugue » d’Éric Lysøe nous entraîne dans un univers singulier, dans une ville aux rues bercées de musique, un véritable cocon pour l’école de musique et ses élèves. Jusqu’à ce jour tragique… Le moindre son ou parole devient matière épaisse ou lave. Prononcer un mot peut alors causer la mort. Les élèves les plus jeunes réussissent à fuir jusqu’à une grotte à la mousse qui absorbe tous les sons, plongeant les survivants dans un silence angoissant, sauf quand ils tentent un canon dans l’Amphithéâtre des pics, quand les pluies tranchantes ne sévissent pas… Et pendant ce temps, que devient la cité ?
Le monde proposé est singulier, les êtres qui y vivent sont tellement obsédés par leur mode de vie qu’ils tentent de le reproduire dans leur nouvelle demeure. Après la musique, le son qui tue, le silence qui s’impose, ce texte évoque l’obsession, la mutation, le changement.
** Au total, j’ai été très impressionnée par la qualité de cette anthologie et des textes présentés, par les choix judicieux de l’anthologiste et par l’imagination développée par les auteurs. La majorité des textes m’ont fait passer un excellent moment, je ne peux que vous recommander cette anthologie.
— Andréa.
Anthologie réunie par Éric Lysøe
Editions Arkuiris
Illustration d’Adrian Borda
Corrections orthographiques de Gille Martinez
324 pages