Neverwhere, de Neil Gaiman, avis de Stéphane Lesaffre

Un avis de Stéphane Lesaffre. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».

CouvertureNeil Gaiman. Ceux qui n’ont jamais entendu parler de cet auteur… ont tort. Auteur britannique de littérature fantastique, d’excellente réputation, Neil Gaiman, c’est à tout le moins celui qui a écrit, en collaboration avec le regretté Terry Pratchett, l’excellent “De bons présages”, qui est un de mes romans préférés. Alors forcément, j’ai voulu en lire plus de lui. D’abord “American Gods” que j’ai dévoré. Ensuite, on m’a chaudement conseillé “Neverwhere”, un de ses premiers romans, œuvre fondatrice de l’urban fantasy. Alors, comme je suis toujours preneur de recommandations avisées, ça a été mon récent livre de chevet. Et, tuons d’ores et déjà le suspense, j’ai été franchement déçu.

Neverwhere part du postulat qu’un Londres alternatif existe en parallèle de la ville normale. Dans ce “Londres d’en bas”, on rencontre des personnages bigarrés et hauts en couleurs, des créatures féériques, des parle-aux-rats, des anges… Les lieux que l’on y visite sont souvent d’étranges pendants de leurs équivalents d’en haut, tels Knightsbridge, Blackfriars ou Earls Court. Et pour accompagner le lecteur dans cet univers fantastique, il y a inévitablement le personnage normal, venu d’en haut, qui le découvre en même temps que progresse l’histoire. Ici, Richard Mayhew s’est retrouvé coincé en bas suite à sa rencontre avec Porte, une jeune femme d’en bas qui cherche à échapper à des assassins. Richard pourrait en fait retourner chez lui, mais le hic, c’est que maintenant il appartient à ce Londres d’en bas, et en conséquence, ceux d’en haut ne peuvent plus vraiment le voir.

Si ce pitch, je l’ai trouvé plutôt plaisant, le déroulé m’a laissé beaucoup plus dubitatif. L’univers, déjà, m’a semblé vraiment de bric et de broc, un assemblage hétéroclite où l’enchainement des tableaux se fait de manière assez chaotique, comme si l’auteur l’avait écrit comme cela lui venait, sans réelle ligne directrice, même si certaines parties sont très réussies. Il y a plein de très bonnes idées, mais un peu jetées là pêle-mêle. Une autre explication à cela tient peut-être au format initial de cette œuvre : en réalité, c’était au départ une série télévisée, donc je peux imaginer que le découpage en épisode se marie bien à ces successions d’éléments disparates. En roman, à mon goût, cela passe moins bien. L’autre possibilité, bien sûr, c’est que cet univers parle beaucoup plus à un public britannique, qui va beaucoup plus se réjouir des multiples références.

Les personnages sont, avouons-le, plutôt réussis dans l’ensemble, mais les plus importants d’entre eux, Richard et Porte, ne suscitent pas un extraordinaire engouement non plus. Le principe quasi obligé du mec normal qui permet au lecteur de plonger en douceur dans l’univers fait que le personnage est un mec… normal, banal, justement. On s’identifiera certes plus facilement à lui pendant la lecture, mais on l’oubliera aussi très vite. Porte, jeune orpheline qui fuit des tueurs et qui a le pouvoir d’ouvrir des portes, est plus attachante mais souffre de l’ombre d’un autre personnage qui l’accompagne et qui accapare un peu l’attention. En effet, là où je me suis davantage réjoui, c’est en ce qui concerne les personnages secondaires. Là, on trouve de vraies réussites et de vraies originalités. La palme, à mon goût revient à un des tueurs, Mr Vandemar, une brute épaisse avec des paroles toujours laconiques et d’un premier degré parfois hilarant.

Donc pour l’instant, inégal, avec du bon et du moins bon. Sauf qu’il me reste à parler de l’intrigue. C’est vrai, quoi, on a un univers auquel on adhère moyennement, des personnages d’un intérêt divers, mais on a une histoire, des mystères, alors on poursuit la lecture pour savoir où ça nous mène. Porte est poursuivie par des tueurs à gage, pour une raison inconnue. Le “qui” est dévoilé au lecteur, après quelques fausses pistes de bonne tenue, le “pourquoi” vient naturellement et n’a pas une immense importance. Mais là où j’ai été dépité, c’est qu’une question s’ajoute inévitablement quand on comprend “qui”, et que la réponse à cette question constitue un twist lamentable, comme si l’auteur n’avait vraiment pas eu envie de se creuser la tête.

Et une intrigue bâclée, c’est probablement la différence entre un texte, avec ses qualités et ses défauts, mais qui va laisser globalement un bon souvenir, et un autre qui va laisser de la déception.

— Stéphane Lesaffre.