Un avis de Roxane Tardel. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».
Nouvelle-Crobuzon : une métropole tentaculaire et exubérante, où humains et hybrides mécaniques côtoient les créatures les plus exotiques. Depuis plus de mille ans, le Parlement et sa milice règnent sur une population de travailleurs et d’artistes, d’espions, de magiciens, de dealers et de prostituées. Mais soudain un étranger, un homme-oiseau, arrive en ville avec une bourse pleine d’or et un rêve inaccessible : retrouver ses ailes…
J’avais déjà lu du China Miéville il y a quelques années, avec son roman Les Scarifiés. Et si ma mémoire pleine de trous se rappelle à peine de quoi ça parle, je sais que j’avais beaucoup aimé : l’ambiance, les personnages, l’univers, un vrai côté dépaysement avec cette fantasy qui sort des productions ordinaires.
J’ai retrouvé la même chose avec Perdido Street Station, et ce diptyque est clairement un très bon récit.
Le lecteur débarque donc à Nouvelle Crobuzon (visiblement, la ville qui sert de carrefour à beaucoup des récits de l’auteure), immense cité au croisement de la fantasy, du steam, de la révolution industrielle, qui grouille de toutes sortes de créatures humanoïdes : des humains, bien sûr, mais aussi des Képris (sorte d’humains avec une tête de scarabée), des Cactacés (des cactus humanoïdes), des Vodyanois (espèces de grosses grenouilles capables de manipuler l’eau), etc. Et tout ce beau monde vit, travaille et s’amuse entre les quartiers et lignes de chemins de fer qui traversent Nouvelle Crobuzon.
Un peu comme dans Abyme, on retrouve cette idée de cité-univers, avec une ville parfaitement définie, typée, qu’on visite tout au long du roman pour la découvrir depuis ses bas fonds jusque dans les hautes spires du pouvoir, et qui participe tout autant à l’intrigue que les personnages eux-mêmes.
Les personnages sont d’ailleurs l’autre gros point fort du diptyque. Vous n’y retrouverez aucun poncif de la fantasy, ni même du steam. Il y a Lin, une artiste Képri, qui façonne ses œuvres grâce à la salive que sécrète son espèce ; Isaac, un scientifique obèse un peu raté académiquement qui poursuit ses travaux dont l’université se moque éperdument ; Derkhan, une journaliste un peu touche à tout ; Yagharek, un Garuda (homme-oiseau) qui a perdu ses ailes et rêve de les récupérer…
Cette galerie s’allonge d’autres protagonistes au fil du temps, mais voilà pour les principaux. Sincèrement, j’aime certains poncifs de la fantasy, et je sais que je vais clairement beaucoup plus accrocher à un gros barbare qu’à un scientifique, en général. Et pourtant, je peux vous assurer que China Miéville fait parfaitement son job, et que dès le début, vous allez aimer le couple insolite Lin / Isaac. Ils sont tout simplement attachants, normaux, un peu comme des amis ou des voisins que vous croisez régulièrement, et de là, difficile de ne pas monter dans leurs pas pour juste les suivre tranquillement, en attendant les évènements qui vont tout faire basculer.
Je pense que c’est cette ambiance assez moderne de la ville et de l’univers qui aide à l’immersion : on a bien plus l’impression que tout cela peut exister, sans aucun effort d’imagination, et les personnages ne sont pas des élus inaccessibles aux pouvoirs extraordinaires ; non, juste des gens qui vivent leur petit métro/boulot/dodo, et qui soudainement se retrouvent avec une tuile des plus faramineuses.
Parlons donc un peu de l’intrigue, alors.
Yagharek, l’homme oiseau, débarque un jour dans le laboratoire d’Isaac avec une requête étrange : pouvoir à nouveau voler, lui qui a eu ses ailes arrachées. Voilà un défi à la mesure d’Isaac, scientifique rejeté par ses pairs, mais qui garde toujours par devers lui une théorie sur l’énergie de crise, qui serait techniquement capable de l’aider… si tant est qu’il parvienne à l’appliquer.
Toute la première partie du diptyque, en gros, est consacrée aux recherches et expérimentations d’Isaac pour aider le Garuda. Et ben je ne suis pas scientifique pour deux sous, mais je ne me suis pas ennuyée une seconde ! Déjà, parce que ce n’est pas de la hard SF. On reste dans un univers fantasy / steam, où quelques libertés peuvent être prises. Cependant, le plus intéressant à mon sens, a été l’utilisation de la technologie. C’est un mélange de science inspirée de l’existante, à laquelle on a rajouté des éléments tirés, façonnés à partir du steam. Ce qui donne par exemple des IA : Intelligences Artefactuelles, des machines (sortes de robots plus ou moins évolués), fonctionnant avec des cartes à trous dans lesquelles on encode des données avant de les leurs insérer pour qu’elles accomplissent leurs tâches.
Et au final, on se retrouve à suivre certes des cheminements de type scientifiques, mais avec un niveau de dépaysement qui permet de ne pas se lasser.
Mais revenons à notre histoire… Je vous épargnerais certaines circonvolutions du scénario, principalement pour ne pas vous gâcher les effets de surprise. La fin du tome 1 voit l’arrivée de créatures terrifiantes, des Gorgones, qui hypnotisent leurs proies de leurs ailes multidimensionnelles, afin de leur voler leurs rêves et les vider de toute substance psychique. Et les Gorgones, qui n’ont pas de prédateurs, commencent à faire régner la terreur sur Nouvelle Crobuzon et sa vie nocturne… par la faute d’Isaac.
Le second tome s’attache donc à la lutte des personnages contre ces bestioles, ce qui est loin d’être de tout repos ! Dans cette partie, il m’est arrivé de me dire que l’histoire stagnait un peu (que ça n’avançait pas très vite, en fait), et pourtant, il n’y a jamais eu d’ennui non plus. L’auteure parvient toujours à relancer l’intérêt, que ce soit par l’introduction de nouveaux personnages, par des rebondissements, par la découverte de nouvelles créatures de cet univers. Parmi celles-ci, j’ai particulièrement aimé les Mainmises, le concept mais surtout le jeu de mot était vraiment fun ^^ La Fileuse, évidemment, est géniale : imaginez une araignée géante, qui vit entre les dimensions, qui est complètement tarée et n’en fait qu’à sa tête, et qui tisse la toile du monde… Encore une fois, l’univers de China Miéville est absolument terrible.
Ce roman est plutôt noir, glauque par moments, on a peu de répit une fois l’intrigue engagée, c’est sale, il y a du sang, des morts, du désespoir, des personnages touchants… et bordel, qu’est-ce que ça sonne juste !
La fin, à ce propos et sans la dévoiler, m’a paru brillante. On apprend ce qu’il s’est réellement passé pour que Yagharek perde ses ailes, et la réaction d’Isaac est véritablement celle qu’on attend, celle qu’on aurait pu tous avoir… Je ne vous dirais pas que ça finit bien, mais ça finit, sur une note à demi amère mais aussi porteuse d’un certain espoir pour l’avenir, et c’est une conclusion appropriée à ce récit.
Un petit mot sur le style également : il est assez recherché, avec de belles images tout du long (j’ai particulièrement aimé la description dans l’introduction de la ville, vue par Yagharek), même si on trouve quelques lourdeurs parfois (adjectivales, principalement), et que certaines descriptions d’actions m’ont un peu perdue.
Mais dans l’ensemble, il y a un très bon niveau.
Au final, c’est vraiment prenant, si on se laisse au début simplement porter pour découvrir la ville et l’univers avec les personnages, on finit par vouloir continuer absolument pour savoir comment tout ça va se terminer. Il y a des rebondissements, de l’action, beaucoup d’émotions, et un excellent univers à découvrir.
Définitivement, China Miéville est une auteure à suivre.
— Roxanne.