Salina, les trois exils, Laurent Gaudé, avis de Audrey Aragnou

Laurent Gaudé écrit des récits inclassables aux allures intemporelles, où les frontières se dissipent également, à la limite du conte fantastique par l’ambiance étrange qui y règne. J’ai retrouvé dans ce roman ce qui m’avait touchée dans la Mort du roi Tsongor, qu’il avait rédigé quelques années plus tôt. C’est un roman d’amour filial, de vengeance et de mort.

Racontée par Malaka, le fils de Salina, l’histoire se déroule dans une Afrique qui ne sera jamais nommée en tant que telle. Il cherche un tombeau pour sa mère qui vient de décéder et traverse des contrées ensablées et lointaines jusqu’à parvenir à une ville où il rencontre Darzagar. Ce vieil homme qu’on prend d’abord pour un mendiant est en réalité un passeur qui attend depuis des années la venue d’un étranger qu’il devra aider et Malaka semble être cet homme. La mission de Darzagar est de transporter les morts en barque à l’île du cimetière. Il faut raconter l’histoire du défunt et la nécropole, dotée de sa volonté propre, ouvre ses portes si elle décide d’accepter le mort en fonction de la qualité du récit.

Malaka raconte alors devant les portes du cimetière l’histoire de sa mère, dont le nom évoque le sel des larmes. Au fur et à mesure de son récit, des hommes et des femmes de la ville viennent l’écouter, subjugués par les mots de ce fils qui devient conteur.

Salina, la petite fille, née depuis peu, est portée, puis abandonnée, dans un village. Aucun homme ne souhaite la recueillir et selon la loi de la communauté, elle est livrée aux hyènes afin que ces dernières la dévorent. Lorsque même celles-ci s’écartent d’elle (hyènes qui deviennent par la suite ses protectrices) une villageoise prise de pitié finit par s’emparer de l’enfant pour s’occuper d’elle.

Salina grandit, amoureuse de Kano, fils du chef du village. Mais c’est Saro, frère de Kano, qui la harcèle et l’épouse de force. Kano ne s’oppose pas à la volonté familiale, même s’il aime également Salina.

Le premier enfant est le fruit d’un viol et la jeune femme délaisse l’enfant haï. La guerre gronde avec la tribu voisine et les peuples se déchirent. Saro part se battre et c’est Salina qui l’achève, lui arrachant la colonne vertébrale, condamnant son âme.

Exilée du village à cause du meurtre, Salina, enceinte, accouche d’un garçon qu’elle n’a gardé dans son ventre que neuf jours. Il est le bras armé de sa vengeance, et cet enfant, dressé pour se battre, est renvoyé au village pour lutter contre son frère.

Le troisième fils est Malaka, le fils du pardon. Parviendra-t-il à racheter la mémoire de sa mère trahie et abandonnée ?

Sur un fond épique, le récit de la vie de Salina est touchant par la force du personnage et par l’amour que lui porte Malaka au-delà de sa vie. Le roman est écrit comme un conte, que l’on pourrait raconter lors d’une veillée : une enfant abandonnée, des animaux qui la protègent, la traversée du désert au sens propre et figuré pour que l’héroïne devienne une femme dont la vie se transforme en destin.

— Audrey.