Par Iphégore Ossenoire
Il faut vivre avec son temps, faute de quoi l’on devient vite grincheux à enjoliver le passé. Maintenant que j’ai achevé la traduction de la série James Potter, je me penche sur le scénario de mon prochain roman. Pour écrire une bonne histoire, nous nous confrontons à deux tâches immenses : d’une part, maîtriser la langue française pour offrir le bon style à la bonne œuvre ; d’autre part, concevoir un scénario qui tient en haleine, fait rêver et grandir le lecteur. Alors que la B.D. a depuis longtemps des duos avec le scénariste et le dessinateur, je me demande pourquoi les romans échappent à cet usage. Ce sont en effet des compétences très différentes.
Bref. Par habitude, je commence par feuilleter L’Anatomie du scénario de John Truby pour me remettre dans le bain. Chaque fois que je le regarde, je comprends de nouvelles choses. Je finis par trouver une prémisse qui me convient (« Un magicien banni de sa terre natale veut se créer un lieu de vie idyllique dans la cité la plus dangereuse du royaume »), ausculte les défis et problèmes posés par un tel récit, m’engage sur la manière dont je souhaiterais le raconter, avec une idée des personnages possibles, de leurs problèmes moraux, etc.
Il vient un moment où j’ai un problème pour raccorder des éléments que j’aimerais concorder. Je sens qu’il me manque quelque chose. Alors je vais interroger ChatGPT 4. Après tout, c’est un moteur de probabilités, peut-être pourrait-il me sortir des choses que je n’ai pas dans le viseur et qui pourraient m’amener, par ricochet, à trouver ma solution. Tout commence ainsi :
Bon, je sens que certains de mes thèmes, très sombres et immoraux, provoquent la modération. Toutefois, à ce stade, les réponses me parviennent tout de même. ChatGPT me sort un récit en trois actes possibles. Très cliché. J’envoie de nouvelles instructions pour préciser des éléments ou l’envoyer dans une autre direction : « Ajoutons des éléments. Un Elfe est prisonnier au château d’Azraël. C’est un puissant nécromancien qui s’est retrouvé asservi par un collier qu’il ne peut pas briser. Le héros a du mal à faire la part des choses entre cet Elfe et les Elfes qui l’ont chassé, mais finit par le libérer. Cet Elfe fuit la cité… » ChatGPT complète les actes qu’il m’avait proposés et positionne assez adroitement le moment des révélations. J’itère ainsi en introduisant d’autres éléments que je tire de ma préparation sans robot et vois comment il approfondit le récit.
Je lui ai demandé de l’aide sur le scénario, alors il répond avec des points précis et des éléments conceptuels scénaristiques, mais il ne me prend pas par la main pour me donner clé en main quelque chose qui tient vraiment la route. On sent que la créativité lui fait défaut, ce qui est quelque part rassurant. Toutefois, comme il ne s’agit que de probabilités, il s’avère pratique pour avoir un autre œil ou penser à d’autres choses, et ainsi améliorer mon idée d’origine.
Comme toujours avec ChatGPT, la qualification du contexte (dire au modèle linguistique dans quelle situation il se trouve et ce qu’on attend de lui) conditionne fortement les réponses. Comme il existe un Google-fu (choisir les bons termes pour obtenir les résultats les plus pertinents), il existe un GPT-fu.
— Iphégore