Quelques réflexions sur l’ironie dramatique

Par Andréa Deslacs

L’ironie dramatique est un procédé narratif qui consiste à ce que le lecteur soit mieux informé que les personnages sur une situation donnée.


Le phénomène se base donc sur la complicité entre l’auteur et le lecteur : ce dernier peut savourer des non-dits ou des quiproquos dans lesquels vont errer ou errent déjà les personnages. Et c’est également un excellent stimulant de la satisfaction du lecteur, mis dans la confidence. Il a ainsi l’impression d’avoir l’ascendance sur la situation, et donc quelque part un sentiment de toute puissance. Cela lui confère par trébuchement l’illusion de dominer le récit.
« L’ironie » par elle-même inclut un sentiment de douce moquerie pour l’aveuglement des héros, alors que nous, lecteurs, nous savons. Cela renforce l’empathie avec eux. On les plaint, on les raille, on se réjouit. Parfois, pointe un sourire, voire un rire sur les lèvres du lecteur. Ce sont des émotions positives. L’envie devient forte de savoir comment les personnages vont réagir pour se dépêtrer de la situation, et quand/comment eux aussi vont « comprendre ».


Nous nous adressons clairement aux mécanismes psychologiques de la « récompenses ». Par son assiduité aux méandres de l’histoire, le lecteur est plus fort que le héros. Or, qui dit « circuit de récompenses » dit aussi « circuit de récompenses – addictions ». Il faudra donc savoir doser cette ironie dramatique, pour lui faire tourner page après page, et non pas fermer le bouquin par agacement.
Si la grande révélation n’apporte pas un twist ou un comique de situation ou une peur anticipative, alors l’effet peut retomber comme un soufflet. Le lecteur peut alors marmonner : « ils sont nuls », « ils sont aveugles, ou quoi ? », pire un « tout ça pour ça ? ». Or, il est très dangereux de décevoir un lecteur.


À la manière du fusil de Tchekhov et du faux fusil (élément est là sous votre nez tout le long, vous n’attendez qu’une chose : qu’enfin l’intrigue s’en empare, et paf ! vous vous êtes fait avoir parce que cela n’a pas été utilisé ou pas du tout comme vous le pensiez), l’ironie dramatique permet aussi de jouer avec le lecteur et son sentiment de dominance du récit. Lui qui croyait tout savoir, tout avoir compris, lui qui savourait déjà le piège où se précipitait l’action, trompez-le. Qu’il devienne au moins une fois le dindon de la farce. Ainsi, si vous utilisez plusieurs fois le procédé de l’ironie dramatique dans votre récit, en faisant exploser le fusil entre ces mains de lecteur, désarmez-le de son assurance. Ramenez le doute en lui, en vue de la prochaine utilisation du procédé. Or, le doute suscite l’inquiétude et la peur. Et la peur génère l’envie de savoir et encore une fois l’anticipation. Le lecteur reste donc actif dans sa lecture, mais sa perte de contrôle sur l’avenir narratif crée une frustration positive quand il a tort, et augmente encore ses récompenses quand il a raison. Il devrait donc enchaîner les pages avec encore plus de plaisir et de fébrilité.


Tentez. Dosez. Écoutez vos lecteurs pour mesurer l’effet obtenu. Impliquez-le dans le texte. Augmentez leur satisfaction personnelle. Faites-les rire ou sourire. Inquiétez-les. Frustrez-les quand ils se sentent trop assurés. Un auteur n’est rien sans ses lecteurs. Pensez à eux sans cesse, ou arrêtez d’écrire des romans pour vous consacrer uniquement à la rédaction un journal intime personnel…

— Andréa