Andréa Deslacs
Phenix Web :
Bonjour Andréa. Tout d’abord, bonne année à toi. Commençons par le commencement. Peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis auteure de fantasy/fantastique/science-fiction, passant d’un genre à l’autre selon mes écrits, et aboutissant le plus souvent à des textes dits inclassables.
Je préside l’Association des Plumes de l’Imaginaire (API) qui aide les auteurs francophones de l’imaginaire dans les étapes de création, de correction et de promotion de leurs œuvres. Dans le cadre de notre mission, nous éditons la revue Etherval, dans laquelle j’occupe depuis le numéro 8 le poste de rédactrice en chef.
Par ailleurs, je suis médecin généraliste à Marseille. De caractère espiègle, j’ai décidé de conclure mes études par une thèse sur la vision de la médecine dans la littérature de science-fiction. Avec encore plus d’humour, le jury a envoyé les 200 pages de mon travail auprès du prix national de thèse. Heureusement, un projet plus salvateur pour l’Humanité a été couronné cette année-là, ce qui soulage ma conscience, moi qui ai plutôt l’habitude de malmener mes personnages.
De quelle manière l’aventure de l’écriture a débuté pour toi, et depuis combien de temps écris-tu ?
Dans les années 90, peu de collections de SFFF étaient disponibles et j’attendais chaque nouveau titre de fantasy avec impatience. Après avoir englouti les rayons de ma bibliothèque municipale, j’avais encore faim. Acheter en import les suites de mes cycles préférés américains n’a calmé qu’un temps ma gloutonnerie. J’ai dû me tourner vers l’inconnu : piocher sur les étals des librairies anglaises des auteurs que je ne connaissais pas. Selon les titres, la bonne surprise rivalisait avec la déception. Celle-ci a commencé à devenir de plus en plus fréquente. Je ne trouvais plus cette complexité des scénarii et des personnages, ces camps non manichéistes et ces thématiques éthiques que j’appréciais. L’évidence fut là : si je ne trouvais plus à lire ce que j’aimais, au lieu de me plaindre, je n’avais qu’à l’écrire.
Une illustration peut en un coup d’œil révéler au spectateur : un univers, une ambiance, des personnages, des sentiments et une histoire. Mes premiers écrits en 1993 visaient le même objectif : dépeindre l’un des univers qui habitaient mon imagination afin de le rendre accessible facilement à autrui. Cela ne m’empêchait pas à côté d’écrire des documents plus techniques sur le fonctionnement de ces univers au niveau politique, social, économique, ethnique. Cependant, je ne comptais pas donner à lire des guides encyclopédiques, je préférais plutôt, via un court récit, susciter de l’émotion. Que mes lecteurs s’emparent ensuite de mes mondes, de mes personnages, des codes régissant leurs actes et leurs sociétés, et j’étais la plus heureuse. Cela signifiait que j’avais donné naissance à quelque chose de vivant et de pérenne, indépendamment de ma plume.
Tu as publié quelques nouvelles, notamment dans des webzines. Est-ce cette expérience qui t’a conduite à écrire un roman ? Comment en es-tu venue à écrire directement une heptalogie ?
J’ai toujours écrit des nouvelles en parallèle de mes romans (et je compte dans mon disque dur une dizaine de romans achevés).
Vous pouvez vous présenter à un travail avec votre fougue et votre talent mais, avec un CV bien fourni, vous avez plus de chances d’attirer l’attention. Grâce aux revues et aux anthologies, les auteurs peuvent faire connaître leur plume et leurs univers au public et aux éditeurs avant même que leurs premiers romans soient publiés. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, la nouvelle est un art à part du roman, avec ses codes, ses caractéristiques techniques et son espace de liberté. Écrire d’un côté des nouvelles de quelques pages à peine, et de l’autre des romans en plusieurs tomes n’est pas incompatible.
De mon côté, j’ai toujours eu une tendance naturelle aux « pavés » et autres cycles longs. Mes divisions en tomes relèvent de choix lié à l’impression. Ainsi, Heaven Forest tend vers l’heptalogie. J’accorde cependant une importance très particulière aux trois premiers tomes qui forment à mes yeux un arc narratif apportant 90 % des réponses aux questions que pourraient se poser les lecteurs.
La première partie de Heaven Forest (Darkwood) est sortie depuis peu aux éditions Hydralune, qui est un collectif d’auteurs. Peux-tu expliquer ce concept, la différence avec un chemin éditorial conventionnel, et la raison pour laquelle tu travailles de cette manière ?
De nature pragmatique, je comprends très bien les éditeurs : les cycles longs représentent un risque financier important quand on ignore quel sera l’accueil réservé au premier tome, surtout quand le public ne connaît pas encore bien l’auteur. Peu d’éditeurs acceptent des cycles d’écrivains encore peu connus. Encore plus quand le texte est atypique, rentrant difficilement dans la classification usuelle des récits de SFFF. Il faut beaucoup d’audace pour un éditeur pour sélectionner un texte qui ne correspond pas à son public cible habituel.
À l’heure actuelle, le marché du livre n’a jamais proposé autant de créations, mais le nombre de lecteurs décroît également. Un éditeur doit faire des choix, écouter certes ses coups de cœur, mais ne pas mettre en péril son entreprise.
Il faut d’autres arpenteurs, d’autres découvreurs afin de paver de nouvelles routes. Une seule exigence doit guider les choix : celle de la qualité. Le collectif d’auteurs de Hydralune a été créé sur cette valeur. Aucun texte ne peut être publié sous ce label sans l’aval du groupe. Le texte doit être abouti tant au niveau de la langue que du scénario ou dans le choix des univers originaux décrits. Si un seul des récits estampillés par Hydralune manquait à ces engagements, l’opprobre risquerait de retomber sur l’ensemble des collections. C’est cet esprit attentif et responsable qui nous anime. Le collectif offre aussi l’assurance aux lecteurs qui commencent un cycle long de pouvoir suivre l’aventure jusqu’à sa fin, sans avoir à redouter que l’éditeur disparaisse en cours de cycle (ce qui arrive malheureusement souvent dans le cas de petites maisons d’édition), ou que les tomes ne soient plus disponibles dans quelques années, perdus dans le grand flot des nouvelles parutions.
L’univers de Heaven Forest est particulier, ni steampunk, ni fantasy, ni thriller, mais un peu de tout ça à la fois. Quelles raisons t’ont poussée à créer ce mix de genres ?
Ce n’est pas un choix conscient, la plupart de mes textes sont à la croisée des mondes et des genres. Ce n’est que dernièrement que Catherine Loiseau, auteure également de SFFF, et qui est ma conseillère sur le XIXe siècle britannique, a réalisé que mon récit s’inscrivait dans le courant de « gaslamp fantasy ». On retrouve en effet dans ce cycle un univers XIXe britannique, avec une énergie autre que l’essence ou la vapeur, avec une enquête policière, des complots et un monde caché sous les apparences de la normalité.
Ceux qui lisent du thriller ne lisent pas forcément de l’uchronie, et inversement. Ceux qui lisent du steampunk n’apprécient pas forcément la fantasy. Avec un univers aussi spécifique, n’as-tu pas eu peur de cibler un lectorat trop restreint qui devrait forcément se trouver à la croisée de ces genres ?
Certains lecteurs sont très fidèles à des genres très ciblés de la SFFF. D’autres voient leurs goûts évoluer avec le temps, voire avec la lassitude de lire toujours la même chose sous la forme d’un grand « thème et variations ». Une œuvre à la croisée des genres peut attirer le lecteur vers un domaine de l’imaginaire qu’il ne connaissait pas. Il possède déjà certains codes, liés à son genre de préférence, ce qui rend sa lecture plus facile. Il ne lui reste plus qu’à découvrir de nouveaux horizons.
Plus qu’un genre spécifique, c’est un univers dont je propose l’exploration. Et de vivre une palette d’émotions auprès des personnages. Ce sont eux qui font l’histoire, avec leurs caractères et leurs personnalités marquées. Or, qu’il y a-t-il de plus universel que d’avoir peur, de rire, de pleurer, de vouloir agir au nom de ceux qu’on aime ou de la justice ?
Dans ton blog, tu expliques judicieusement que ce premier tome (Darkwood) s’articule autour de l’absence du héros qui, après une apparition au début du livre, disparaît de celui-ci. C’est un pari culotté de proposer un personnage très charismatique en tant que héros, et l’escamoter tout de suite. Tu ne penses pas ?
J’associe toujours un cycle à un défi narratif. Peut-être ai-je été influencée par La disparition de Perek et sa lettre d’alphabet manquante… Le récit compte des personnages importants, mais en effet, celui qui est au centre des préoccupations de chacun d’entre eux est le grand absent de l’histoire. La fantasy nous a habitués à ces héros solitaires qui sauvent le monde. Je préfère offrir ce tome à tous ces personnages secondaires (mais indispensables) sans qui le héros ou l’histoire n’irait pas plus loin.
Le lecteur va se forger une opinion sur le héros d’après les rumeurs et les déclarations des uns et des autres. Mais finalement, qui est l’homme derrière l’image imposée par le regard des autres ? Le credo de ce tome 1 est bien qu’il ne faut pas se fier aux apparences. J’invite le lecteur à se méfier, à prendre du recul, à recouper l’information. À mener sa propre enquête, à établir sa propre opinion. À être actif, alors qu’on l’a si habitué à être passif en lisant une histoire. J’espère qu’il appréciera l’importance que je lui accorde.
La disparition d’Else Other, ton héros, m’a laissé perplexe. Son impact dans l’histoire, son utilisation sur la première de couverture, me laissent croire qu’il va réapparaitre dans la suite. Laissons planer le doute pour éviter les divulgations. Mais tu peux nous éclairer malgré tout si tu en ressens l’envie.
J’aime quand je lis un livre relever certains détails et émettre des hypothèses sur la suite du récit. Je suis contente quand j’ai raison, j’applaudis quand on me surprend. Ce récit est construit pour le plaisir d’une lecture simple et de divertissement, mais aussi pour offrir un terrain de jeu et d’enquête au lecteur attentif. Conçu également pour être relu, ce récit se découvre avec un œil nouveau, et je l’espère de l’étonnement quand le lecteur réalisera que de nombreuses choses sont annoncées clairement depuis le début.
Ainsi, si ce cadavre retrouvé au début de l’enquête est l’alpha de ce récit, il en est aussi l’oméga. Il est le seul à même de résoudre la situation et de sortir Darkwood de ses guerres intestines. Ainsi, oui, les protagonistes du récit n’ont pas fini de s’interroger sur cet étrange Else Other, dont la seule existence brouille les cartes d’un conflit séculaire et souterrain entre les camps du duché de Heaven Forest.
Cette première partie se conclut d’une manière très abrupte. L’accroche suggérée laisse clairement penser que, sans lire la suite, le lecteur ne comprendra rien de l’histoire. Même si c’est souvent le cas dans les sagas, n’as-tu pas eu peur d’être trop téméraire par cette méthode qui prend, en quelque sorte, le lecteur en otage ?
Darkwood est un tome court. Il est aussi proposé à un petit prix au public. Il permet à travers ces deux cents pages de se faire une opinion de mon style, mais aussi des différentes atmosphères de l’univers esquissé. Son objectif est clairement de laisser le choix au lecteur de continuer ou non dans un cycle long et plutôt atypique. En salon, face à face avec les visiteurs, j’ai toujours l’honnêteté de dire que la série va au-delà de l’enquête policière et que la cohérence du récit s’étale au moins sur les trois premiers tomes. Regrouper deux tomes aurait fait atteindre les 500 pages et un tarif bien plus important. Or, un coût double aurait eu de quoi réfréner la curiosité et il aurait toujours manqué le 3e tome pour l’unité du premier arc narratif. L’idée ne nous a pas paru judicieuse.
Ce tome 1 est plus riche et complet qu’une bande annonce de film ; il permet déjà de se faire une idée sur ce monde qui se propose à vous.
As-tu une anecdote particulière à raconter sur l’univers de ton roman ? La suite est-elle déjà écrite, et quand sont prévues les sorties ?
Actuellement, j’avance dans l’écriture du tome 5 pendant que mes correcteurs se penchent sur le tome 4. Le tome 2, Solitudes et Sacrifices, devrait sortir d’ici mars 2017, le tome 3 avant l’été, le 4 l’hiver prochain. Cette volonté de publication rapide sert à pouvoir proposer rapidement le premier trio de tomes ensemble, et surtout à rassurer les lecteurs qui pourraient redouter d’attendre sept ans pour connaître la fin.
Malgré que je fais faire preuve d’un grand souci du détail dans la description des lieux ou des personnages de Heaven Forest, je ne suis guère physionomiste. Or, mon illustratrice, Marie-Charlotte Granié, alias Cha’peau Rouge, a un trait très réaliste dans son art. Ainsi, quand je me perds dans les couleurs des yeux, des cheveux, du côté de la boiterie de certains personnages, hop ! Un regard aux portraits qu’elle réalise pour les héros du cycle, et voilà comment l’image impacte la narration, et vice versa.
Si on veut acheter ton livre et/ou te rencontrer, comment ça se passe ?
Je participe à des salons de l’imaginaire à travers toute la France. On peut en retrouver la liste sur le site d’Etherval (www.etherval.com) ou sur mon blog. On peut trouver mon roman en numérique sur les librairies en ligne les plus connues (Amazon, Kobo), en impression à la demande via Amazon. De façon très simple, on peut commander des versions numériques ou papier (dédicacées en prime) sur le site de Hydralune (www.hydralune.com).
Darkwood est aussi disponible dans certaines librairies, notamment la Librairie des Quatre Chemins à Lille, ou la Librairie du Prado à Marseille. D’autres points de vente en grandes surfaces ou enseigne culturelle devraient être disponibles dans la région marseillaise dans les mois à venir.
Quels sont tes projets en cours et futurs ?
Je mets un point d’honneur à ne commencer aucun autre récit long jusqu’à ce que le point final de Heaven Forest soit posé. Je prends donc l’engagement d’un cycle complet qui ne s’étale pas sur des décennies d’écriture.
En parallèle, je continue à participer à des concours de nouvelles et j’ai un texte déjà sélectionné pour une parution cette année. Par ailleurs, dans le cadre de Heaven Forest et de Hydralune, je vais proposer en papier deux novella (« La Fièvre de l’Or », « L’Héritage) se déroulant hors de la trame principale, afin de tisser ce concept qui m’est cher d’univers riche et diversifié.
Je te remercie pour cet entretien. Le mot de la fin ?
Le nom de notre collectif d’auteurs a été choisi suite à un vote de nos membres. Si j’aime beaucoup « Hydralune », j’avoue que j’avais une tendresse particulière pour « Petit Gros Pavé Editions ». Je crains d’avoir subi l’influence de ce concept en rédigeant mes longues réponses.
Merci beaucoup de m’avoir invitée à cet entretien.