Un avis de lecture de Catherine Loiseau. Souvenez-vous : « autant de têtes, autant d’avis ».
J’ai découvert ce comic grâce à l’émission « L’Imaginarium » sur RPL, qui chaque semaine présente une sélection jeux vidéo, cinéma et comics sur les cultures de l’imaginaire. Cédric, qui anime la chronique comics, a présenté Strange Fruit de la manière suivante : imaginez que Superman ait été noir et ait débarqué dans le Mississippi des années 20, en pleine ségrégation raciale. Il n’en fallait pas plus pour piquer mon intérêt.
Le titre fait référence à une chanson de Billie Holliday :
Southern trees bear strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees…
Vous l’aurez compris, les « fruits étranges » que les arbres portent, ce sont les corps des noirs pendus par le Ku Klux Klan…
Le Klan est très actif dans la ville de Chaterlee en 1927, et entend bien mettre les noirs au travail, de gré ou de force, afin de consolider les rives du Mississippi. En effet, le fleuve menace de déborder et d’engloutir les plantations et les maisons.
Dans ce contexte troublé, un enfant disparaît. Bien évidemment, le Klan est prompt à accuser Sonny, jeune noir rebelle et qui n’hésite pas défier l’autorité des blancs.
Pour ajouter au chaos, un mystérieux appareil s’écrase sur les berges du fleuve. En sort un surhomme, un véritable géant au physique impressionnant, qui pourrait parfaitement incarner toutes sortes de théories nauséabondes, si sa peau n’était pas noire…
Son arrivée, couplée à la crue imminente, va déchirer la petite communauté.
J’ai beaucoup aimé ce comic pour un ensemble de raison.
Il s’attarde à un pan sombre de l’histoire, mais évite les écueils du manichéisme.
Les personnages sont développés et travaillés, chacun a ses motivations. Même les connards du Klan, que les auteurs dépeignent surtout comme des rednecks bas de plafonds, qui craignent pour leur supériorité raciale. J’ai bien aimé le personnage de Sonny, rebelle, mauvais garçon, qui refuse l’aide des blancs et toute forme d’autorité. La veuve Lantry, riche héritière qui tente de protéger les noirs sur sa plantation et de leur offrir un salaire décent est aussi un personnage intéressant : agit-elle uniquement par bonté d’âme ? Perpétue-t-elle une forme de racisme et de paternalisme ?
J’ai bien aimé aussi le personnage de l’ingénieur noir, en butte au racisme ambiant, et qui tente de trouver une solution pour empêcher le fleuve de déborder.
Là-dessus, l’arrivée d’un surhomme noir, surnommé « Col » (pour colosse) par Sonny, va faire exploser les tensions et mettre en lumière les peurs, mais aussi les espoirs de la communauté.
Le personnage de Col est assez opaque. On devine qu’il a fui une forme d’oppression, sans savoir laquelle. J’ai apprécié qu’on n’en sache pas plus sur lui, et qu’on puisse se faire notre propre opinion. Cela montre aussi assez bien le rôle de symbole qu’il a pour les différents groupes : espoir pour les noirs, menace pour le Klan, outil providentiel pour les ingénieurs.
Côté rythme, l’histoire se déroule bien, sans grosse surprise ou retournement (je m’attendais à la fin). C’est simple, mais efficace, et assez percutant au final, même si j’aurais aimé que la fin soit un peu plus développée (mais j’ai remarqué que quelque chose de récurrent en BD).
Niveau dessin, là c’est très très beau. Tout est dessiné à l’aquarelle, dans des couleurs un peu passées, qui donnent une ambiance vintage, et traduisent très bien l’ambiance oppressante liée à la météo chaotique.
Les visages sont très travaillés, chaque personnage a un design qui lui est proche. Je reprocherai parfois un côté un peu figé de l’action, mais autrement, c’est un régal pour les yeux.
(Si vous êtes curieux, vous trouverez quelques planches ici )
En résumé, Strange Fruit est un comic qui sort des sentiers battus, et dont je recommande vivement la lecture !
— Catherine.